Les Rencontres musicales d’Évian

Entre splendeur baroque et musique du XXe siècle.

Les Rencontres musicales d'Évian

LES RENCONTRES MUSICALES D’ÉVIAN, qui avaient lieu cette année du 25 juin au 2 juillet, présentaient entre autres trois concerts événements dirigés par Paul Agnew, co-directeur des Arts Florissants, qui participait également à deux de ces concerts en tant que chanteur - ceux consacrés à l’œuvre de Schütz. Le troisième, intitulé « La Grande Audition de Leipzig », permettait d’écouter Les Arts Florissants dans des cantates des différents « candidats » au poste de Kantor de Leipzig (Kuhnau, Graupner, Telemann et Bach), poste qu’obtiendra finalement Bach, alors que, comme le souligne spirituellement Paul Agnew, il n’était pas même le « deuxième choix », ni même le « troisième choix »… ce qui bien sûr laisse rêveur aujourd’hui !

Les Arts Florissants à l’honneur
Si l’on connaît bien Les Arts Florissants dans l’œuvre de Monteverdi (que ce soit les livres successifs de Madrigaux, Les Vêpres de la Vierge ou encore les opéras), les Rencontres musicales d’Évian permettent de les découvrir avec émerveillement dans l’œuvre de Heinrich Schütz, déployée au long de deux concerts exceptionnels : l’un consacré à des extraits des Kleine geistliche Konzerte (Petits concerts spirituels), pour petit ensemble instrumental et ensemble de voix solistes à l’effectif changeant, l’autre au 1er Livre de ses Madrigaux italiens. Paul Agnew en est à la fois l’un des interprètes, en tant que ténor, et le chef, si l’on peut dire pour un répertoire qui à vrai dire n’est pas « dirigé » à proprement parler.

Motets et madrigaux de Schütz
La musique religieuse de Schütz est relativement plus connue que sa musique profane : de grands interprètes l’ont donnée en concert et enregistrée, dont par exemple Philippe Herreweghe, pour ne citer que lui. La profondeur de cet univers, l’alliage de mélancolie, d’invention harmonique et de tonicité prosodique qui marque les Kleine Geistliche Konzerte sont mis en valeur et portés de façon magistrale par l’art de Paul Agnew et des Arts Florissants. La qualité la plus flagrante (et aussi la plus émouvante) de leur interprétation est peut-être sa simplicité – apparente ! Car si la langue musicale de Schütz est extrêmement savante, il ne s’agit pas pour autant d’en dessiner les lignes avec pédantisme, ni dogme musicologique… Les interprètes ont d’ailleurs choisi d’alterner les pièces de Schütz avec des motets de compositeurs italiens plus ou moins contemporains (Alessandro Grandi, Girolamo dalla Casa, Giovanni Rovetta, dont nous écoutions la musique pour la première fois, mais aussi des musiciens beaucoup plus célèbres, tels que Giacomo Carissimi ou Girolamo Frescobaldi, sans parler même de Monteverdi, qui fait une apparition remarquée avec ce qui est la version religieuse de son fameux Lamento d’Ariana : Il pianto della Madonna).

Pour les Madrigaux italiens de Schütz, donnés en concert le 29 juin à l’Église Notre-Dame de l’Assomption, Paul Agnew, en compagnie de ses excellents collègues des Arts Florissants, ouvre un véritable champ d’émotion et de découverte : présentant lui-même le concert, dans l’un de ses moments dont il a le secret – tout à la fois chaleureux, fédérateur, pédagogue sans pédantisme aucun et passeur de musique – il rappelle que le madrigal fut en son temps l’équivalent du quatuor à cordes deux siècles plus tard : le laboratoire des compositeurs. Et précise utilement que Schütz, l’Allemand, le Luthérien qui s’était formé auprès de Gabrieli à Venise saisit de la façon la plus profonde et la plus subtile le monde musical et littéraire de l’Italie et ses caractères les plus essentiels. On se prend alors à écouter ces madrigaux italiens de Schütz en en percevant dans toute sa splendeur l’alliage de finesse poétique, d’émotion amoureuse et de profondeur philosophique… Sans doute parce que Paul Agnew et ses partenaires chanteurs nous en dévoilent avec générosité et intelligence tous les méandres.

Romantiques et modernes à La Grange-au-Lac
Le troisième concert auquel j’ai pu assister lors de ces deux journées était également remarquable par la qualité de sa programmation et celle de ses interprètes : le 28 juin au soir, à la Grange-au-Lac, avait lieu un concert de musique de chambre original avec une œuvre pour deux pianos (la transcription du Quintette en fa mineur de Brahms), le Sextuor de Poulenc, le Quintette pour piano et cordes de Vierne, œuvre rarement donnée, à quoi s’ajoutaient deux moments pour piano solo : les Trois Novelettes de Poulenc et la Toccata issue du Tombeau de Couperin de Ravel. Le pianiste Sélim Mazari déployait dans ces pièces pour piano solo tout ce qui fait son talent particulier : le dessin des formes si bien acquis qu’il n’a pas besoin d’être souligné, un toucher d’une extrême subtilité, permettant au pianiste de déployer tout une palette de couleurs, tout un faisceau de caractères – jusqu’à l’ironie savamment teintée de mélancolie qui marque si étonnamment la musique de Poulenc. Dans le Sextuor du même compositeur, œuvre brillante, violente, excentrique et sombre tout à la fois, le pianiste y retrouvait d’excellents partenaires, tous issus du Sinfonia Grange-au-Lac, créé pour le festival par son directeur artistique, Philippe Bernhard. Au point de vue musical, le rare Quintette de Vierne, présenté par le jeune Quatuor Elmire en compagnie d’un grand maître, Michel Dalberto, fascine par la richesse de son harmonie, ses sinuosités mélodiques et son étonnant symphonisme (faisant de lui un héritier convaincant de l’art de César Franck), mais peut également lasser par le caractère quelque peu interminable de ses développements… Comme si le compositeur n’était pas parvenu à juguler le torrent de sa pensée compositionnelle. Cela dit, la redoutable partie de piano de l’œuvre était interprétée avec superbe par Michel Dalberto, qui semblait trouver là un monument à sa mesure.

Quant à la version pour deux pianos du beau Quintette en fa mineur de Brahms, malgré la finesse de jeu d’Éric Lesage et de Théo Fouchenneret et la remarquable cohésion de leur duo, elle provoque un certain scepticisme et ne parvient pas à faire oublier la version sublime pour cordes et piano, immortalisée par tant de grands interprètes.

Photo : Matthieu Joffres

Rencontres musicales d’Évian, 28 et 29 juin 2022. Les Arts Florissants, Paul Agnew, ténor et direction. Éric Lesage, Théo Fouchenneret, Michel Dalberto, Sélim Mazari, pianos, Quatuor Elmire, Solistes du Sinfonia Grange-au-Lac.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook