Critique – Opéra & Classique

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer

Les promesses d’un retour après 82 ans d’absence

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer

Meyerbeer fût l’un des précurseurs de l’opéra total dont Wagner s’est inspiré peu après. Créé en 1836, accueilli en son temps avec enthousiasme, Les Huguenots avait alors été donné plus de mille fois par l’institution parisienne, pour plonger finalement dans 82 ans de sommeil. C’est donc un évènement surveillé à l’Opéra Bastille pour la redécouverte de cette partition vibrant sur fond de lutte passionnée entre catholiques et protestants.

Les fâcheuses nouvelles avaient pourtant précédé ce grand retour, avec la défection des deux rôles titres, Diana Damrau en Marguerite de Valois et Bryan Himel en Raoul de Nangis. C’est à Lisette Oropesa et Yosep Kang qu’échoient donc les deux principaux rôles. Le second reprend au pied levé un Raoul déjà chanté à Berlin, la première s’est quant à elle donné deux petits mois pour apprendre Marguerite de Valois…

La grande surprise vient de la lumineuse et brillante Lisette Oropesa qui livre une prestation exceptionnelle. Magnifique actrice, sa ligne de chant est fine et puissante, elle se défait avec une aisance déconcertante des vocalises d’une partition pourtant délicate, à l’image d’un « Sombre chimère » gracieusement exécuté dès l’Acte II. Pétillante et affirmée, Lisette Oropesa reçoit pour cette prise de rôle les acclamations justifiées d’un public enjoué.

Ermonela Jaho séduit dans une Valentine à la grâce dramatique à propos, la chanteuse albanaise traduit parfaitement cette âme chahutée. Si elle s’appuie avec précision sur des aigus chauds et expressifs, Ermonela Jaho semble toutefois à la peine dans les graves fréquents que lui impose son rôle. Le public ne lui en tient pas ou peu rigueur à l’heure du salut.

On remarque d’entrée de jeu la parfaite diction de Yosep Kang, que même des chanteurs francophones pourraient lui envier. Les médiums sont stables et bien tenus, la projection et la prestance bonnes, mais les aigus du ténor coréen apparaissent très fragiles et souvent forcés et dès le Premier Acte, le faux-pas menace. A l’Acte IV, Yosep Kang dévisse sur deux « Où tu m’aimes » et évite même le troisième. Mais le chanteur coréen ne s’écroule pas et dépasse courageusement ces failles surprenantes, jusqu’au dernier acte.

Le Nevers de Florian Sempey est convaincant. Grâce à sa profondeur vocale et à l’aisance technique que l’on lui connaît, le chanteur français offre au spectateur des airs subtilement décomposés. Sans ternir une prestation probante, on relève quelques passages où l’émission des graves semble plus difficile.

L’Urbain est confié à Karine Deshayes qui excelle dans son rôle, avec maîtrise, humour et émotion. La ligne de chant est pure et puissante, la projection claire, on regrette presque que la partition ne lui offre pas davantage d’occasions de se faire entendre !
Nicolas Testé livre une prestation appliquée en Marcel, grâce à un timbre clair et une belle consistance. Le reste de la distribution est de qualité, à l’image d’un Paul Gay efficace en Comte de Saint-Bris.

Michele Mariotti manque d’un brin de constance dans la direction de l’orchestre de l’Opéra de Paris. Les décalages entre la scène et la fosse sont manifestes dans le premier Acte, faute certainement d’allant à la baguette. Le chef italien redresse plus tard la barre, et retire de l’orchestre des sons riches et tendres. A l’image des cuivres, des bois ou de la harpe, les pupitres exploitent la partition dans de belles et élégantes lignes.

Les chœurs, mis à rude épreuve tout au long des cinq actes remplissent leur mission avec beaucoup de panache et de justesse. Utilisés à bon escient dans la mise en scène, ils contribuent, au-delà de leur performance musicale remarquée, à la réussite scénique de ce grand opéra français.

La recette scénique simple et imposante d’Andreas Kriegenburg, sans être révolutionnaire, produit les effets attendus : l’esthétique est travaillée, la place laissée au jeu d’acteur offre mouvement et action tout au long des cinq heures. Le metteur en scène allemand s’appuie sur les décors monumentaux et inspirés de Harold B. Thor, et les éclairages délicats et capitaux d’Andreas Güter, dont les lumières font parler les tableaux : caressantes ici pour la douceur, crues là lorsque les rouges accompagnent les heurts, d’un noir profond pour traduire la douleur…

Dès l’acte I, une structure blanche -que l’on retrouve plus tard- quadrille la scène où, sur trois niveaux, évoluent chanteurs et chœurs. Dans une ambiance légère de complicité, l’acte II montre Marguerite au milieu de mats en bois dressés, jouant avec l’eau, entourée de ses courtisanes et confidentes. Puis le livret remet la guerre et les passions sur le devant de la scène : les clans s’opposent, les soldats fourbissent leurs armes, les plateaux se font écho dans un travelling scénique, avant que la gradation dramatique ne mène inévitablement à la nuit de la Saint-Barthélemy…

A cheval entre classicisme et modernité, les ravissants costumes de Tanja Hofmann créent un relief visuel réussi : les teintes noires, pourpres, rouges, orange, se détachent et contrastent délicatement avec le blanc des décors. Ils concourent notamment, tout en subtilité, à la réussite des tableaux fracassants où catholiques et protestants s’opposent sur une scène fracturée entre les deux camps.

Ainsi qu’en témoignent les applaudissements à la fin de la représentation, cette première des Huguenots à l’Opéra Bastille plait plutôt, dans son ensemble. L’appréciation n’est bien sûr que la somme difficile de la pondération… Ne retenons donc que les belles surprises, au premier rang desquelles l’époustouflante Lisette Oropesa et le plaisir de revoir vivant un opéra (trop) longtemps endormi !

Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer, chœur et orchestre de l’Opéra National de Paris, direction Michele Mariotti, chef des chœurs José Luis Basso mise en scène Andreas Kriegenburg, décors Harald B. Thor, costumes Tanja Hofmann, lumières Andreas Grüter, chorégraphie Zenta Haerter.
Avec : Lisette Oropesa (Marguerite de Valois), Yosep Kang (Raoul de Nangis), Ermonela Jaho (Valentine), Nicolas Testé (Marcel), Karine Deshayes (Urbain), Florian Sempey (Le Comte de Nevers), Paul Gay (Le Comte de Saint-Bris), Cyrille Dubois (Tavannes, Premier moine), Elodie Hache (Coryphée, une jeune fille catholique, une bohémienne), Julie Robard-Gendre (une dame d’honneur, une jeune fille catholique, une bohémienne), François Rougier (Cossé, un étudiant catholique), Michał Partyka (Méru, deuxième moine), Patrick Bolleire (Thoré, Maurevert), Tomislav Lavoie (Retz, troisième moine), Philippe Do (Bois-Rosé, valet), Olivier Ayault (un archer du guet), John Bernard, Cyrille Lovighi, Bernard Arrieta, Fabio Bellenghi (quatre seigneurs).

Opéra Bastille, les 28 septembre (première), 1, 4, 10, 13, 16, 20, 24 à 18h, le 7 octobre à 15h .
Tél. : 08 92 89 90 90. +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

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Quentin Laurens

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