Les Fâcheux de Molière par Hélène Babu

Une comédie-ballet en prise avec les intrus de tous les temps

Les Fâcheux de Molière par Hélène Babu

Molière 3.0, du 25 au 28 août 2022, a été imaginé en préfiguration du centre de recherche et de création théâtrale de Pau dédié au répertoire français des XVII è, XVIII è et XIX è siècles. Durant quatre jours, une centaine d’artistes, acteurs et metteurs en scène, étudiants et chercheurs célèbrent à Pau la naissance de Molière et partagent avec le public leur passion du théâtre.

Cette manifestation culturelle préfigure le projet de centre de recherche et de création théâtrale dédiés au répertoire français des XVII è, XVIII è et XIX è siècle, soit une vraie mise en place dans les années à venir pour que la création soit au coeur de la capitale culturelle de Pau.

La ville de Pau et le Béarn sont liés à l’histoire nationale, puisant ses racines dans le royaume de Navarre - ville de patrimoine, historique et humaniste. Eric Vigner, directeur artistique de Molière 3.0, crée une édition 0, en préfiguration du centre de recherche et de création théâtrale de Pau.
3 pour 3 siècles, 3 unités du théâtre classique, 3 principes : Recherche, Création et Transmission.

Sont à l’honneur trois compagnies de théâtre - diversité et virtuosité - investissant trois lieux emblématiques de la ville, à la hauteur de l’oeuvre et du génie de Molière dont on célèbre le 400 è anniversaire de la naissance.

Au Château de Pau, la comédie-ballet Les Fâcheux dans la cour d’honneur, mise en scène par Hélène Babu ; Le Malade imaginaire ou le silence de Molière dans la salle aux cent couverts par le directeur du Théâtre National de Rennes, Arthur Nauzyciel ; Dom Juan A4 d’après Molière au Théâtre Saint-Louis par le directeur artistique du lieu, Eric Vigner.

Molière écrit cette comédie-ballet en trois actes en 1661, à la demande de Nicolas Fouquet, surintendant des finances pour les divertissements de Louis XIV. La première représentation a lieu dans le parc du château de Vaux-le-Vicomte, à l’occasion d’une immense fête en l’honneur du Roi.

La pièce met en lumière le personnage d’Eraste, homme de la cour proche du Roi, qui voit son rendez-vous avec Orphise, la femme qu’il aime, toujours empêché par une série d’importuns. Ces importuns sont les Fâcheux que Molière a discernés parmi ses contemporains, mais qui tous, aujourd’hui encore, et sans exception, évoquent des caractères bien identifiables.

La galerie des portraits de Fâcheux est pittoresque et loufoque : l’Artiste, le Soldat, le Joueur de cartes, le Chasseur, le Savant - Caritidès demande à Eraste d’intervenir auprès du Roi pour réclamer un poste de contrôleur de l’orthographe française -, l’Economiste désargenté veut construire sur les côtes de France ports et douanes pour renflouer les caisses vides de l’Etat.
Deux nobles femmes se prennent aux cheveux, quant à l’évaluation de la jalousie : force ou faiblesse ? Hélène Babu et Agathe Dronne dessinent deux figures de dignité aux allures de harpies.

Elles accompagnent les efficaces et convaincants Xavier de Guillebon et François Loriquet pour donner vie à la galerie des Fâcheux - impudence, arrogance et aveuglement au monde. Nicolas Martin est le Valet d’Eraste, présent, dubitatif et ahuri par la folie de son maître.

Tous ces demandeurs sont plus cocasses les uns que les autres, des marionnettes mécaniques crispées sur leurs exigences personnelles et incapables d’écoute et d’attention envers le courtisan.
Une pièce sur l’empêchement amoureux : Éraste se heurte à ces empêcheurs d’amour, qui le font tourner en rond, le contrarient systématiquement en faisant trébucher ses stratégies. Thibault de Montalembert dans le rôle de l’éconduit est expressif, touchant de vérité et de tonicité - intériorisant le malaise en même temps qu’il raisonne, évaluant les situations incongrues auxquelles il doit se soumettre, agacé mais résistant avec ténacité aux incartades du destin.

Océane Mozas dans le rôle d’Orphise est aussi sincère que malicieuse, ludique et charmante.

La pièce de Molière projette le public dans les situations identifiées du jeu social. Rapports de pouvoir, effet de la notoriété, amours éconduites, prétention des érudits, malhonnêteté des uns, grossièreté des autres. Une jubilation pour le spectateur de voir le personnage principal en proie à ce que chacun souffre dans des situations similaires : force et vertu du génie de Molière.

Une pièce cauchemar dans laquelle les personnages joués par les acteurs sont de plus en plus fous. Eraste est emporté par le tourbillon de ses angoisses face à la succession rapide des Fâcheux - éternel recommencement, entre art de la répétition et celui de la variation, entre rêve et cauchemar. Comme si tout nouvel intrus semblait jaillir de l’imagination du protagoniste, selon une forme d’empêchement tacite, le mouvement latent du désir de ne pas réaliser ce à quoi on tient.

Ce qu’Eraste vit intérieurement est raconté par le corps à travers deux intermèdes de ballet. Les fâcheux, sans paroles, comme l’écrit avec esprit la metteuse en scène Hélène Babu, entraînent le personnage ébahi dans leur danse, le plongeant dans une sorte d’hypnose et d’absence involontaire et contrainte à soi - ce qui l’éloigne davantage encore de sa bien-aimée Orphise.
Le chœur de danseurs dessine des personnages marionnettes en costumes d’époque - la danse à l’amble inédite et furtive de somnambules tant manipulateurs que manipulés.
Pour décor, la cour d’honneur longiligne du château de Pau, sa façade nord imposante de pierre blanche - fenêtres et portes d’époque - dans la proximité d’une nature verdoyante et enveloppante.
A la Chapelle des Réparatrices, est organisée une table ronde entre Anne-Madeleine Goulet, directrice de recherche au CESR - centre d’études supérieures de la Renaissance de Tours - et la comédienne et metteuse en scène des Fâcheux de Molière, Hélène Babu.
Après une introduction sur la magnificence des élites aristocratiques entre la France et l’Italie au XVII è siècle, les intervenantes échangent sur la naissance de la comédie-ballet et du théâtre de cour, afin d’illustrer les pratiques de spectacle au sein des demeures seigneuriales à cette époque.
Un spectacle vif et tonique, un jeu entre raison et déraison, tension dramatique et humour efficace.

Les Fâcheux, mise en scène d’Hélène Babu, Cour d’honneur du château de Pau. Avec Hélène Babu, Agathe Dronne, Nicolas Martin, Thibault de Montalembert, Océane Mozas, Xavier de Guillebon, François Loriquet. Chorégraphie de Jean-François Kessler.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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Véronique Hotte

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