Opéra National de Paris - Bastille

Le temps des gitans d’Emir Kusturica

Du rock opéra comme au cinéma

Le temps des gitans d'Emir Kusturica

C’était l’un des enjeux de Gérard Mortier quand il prit la direction de l’Opéra National de Paris : faire cohabiter le répertoire lyrique, classique et contemporain, avec des formes inattendues. La mise en opéra du film d’Emir Kusturica Le Temps des Gitans – prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1988 - en constitue l’une des plus joyeuses réussites. De l’opéra comme au cinéma, de la comédie musicale comme une fête de village au fin fond des Balkans… De quoi électriser le public de l’Opéra Bastille, public de fidèles mêlé à des nouveaux venus cinéphiles ou amateurs de rock qui trépignent de plaisir et ovationne debout la troupe, les musiciens et… les oies qui se dandinent aux rythmes techno tziganes. Et font vibrer les tympans.

Fou de fric, fou d’or

C’est un bien drôle de conte que ce conte-là avec ses héros malfrats et sa morale qui marche sur la tête. Où on nous chante l’histoire de Perhan qui n’a ni père ni mère, qui vit chez sa grand-mère et aime d’amour sa voisine Azra. Laquelle fait envie au tonton, une sorte de géant libidineux qui loge également chez la grand-mère… Mais voilà que débarque Ahmed, celui qui a fait fortune et qui promet la lune…Il le crie et le roucoule haut et fort « I’m crazy about money, I’m crazy about gold ». Fou de fric ; fou d’or… En réalité son business s’apparente à celui de Macki –Messer, le Mackie de l’Opéra de Quat’sous que Bertolt Brecht et Kurt Weill ont inventé il y a 80 ans…, un commerce de mendiants-truands rôdés ici de Ljubljana à Milan. Tout se passe mal, on vole, on tue, on assassine mais il y a l’amour et les chansons, la vitalité du peuple tzigane et sa musique syncopée… Là-bas les romans à l’eau de rose ont l’âpre goût de la slivovitz, l’alcool de prune …

Des boîtes en carton dansent la java

Les décors d’Ivana Protic rutilent de poésie naïve, on entre chez le Douanier Rousseau avec un détour du côté du facteur Cheval et surtout les couleurs des peintres de cette ex-Yougoslavie que sont Sava Stojkkov, Ivan Rabuzin ou Petrovic… Des hommes toupies géants en longues robes orangées tournent comme des derviches, des toits s’envolent des cintres en battant des ailes, la lune a les joues en boules de billard, des boîtes en carton dansent la java, les caravanes ont les yeux qui clignotent et les portails de cathédrale s’ouvrent sur des nonnettes en cornettes et des curés rockers… Au royaume des plus pauvres, même la misère a des paillettes sur le nez…

Les musiques et les images se télescopent. Kusturica, bassiste et réalisateur étant l’homme des deux disciplines, joue sur les deux tableaux. Tandis que les musiciens du No Smoking Orchestra font déferler les Cik Cik Pogodi, Chaveja ou autre Hederlzi en romani pur jus, des images défilent sur grand écran. Coup de chapeau au ciné made in USA avec Robert de Niro dans Taxi Driver ou échappée belle sur terrains de foot avec la silhouette trapue et le poil noir de Maradona marquant un but…

Timbre cuivré et jolie dose d’humanité

Nenad Jankovic qui joue Ahmed l’affreux avec une paire de belles bacchantes sous le nez a signé le livret et la musique, tous deux adaptés du scénario du film. Comédien, il s’en donne à cœur que voilà, en fait des tonnes, Stevan Andjelkovic et Milica Todorovic aux voix fraîches et bien placées incarnent en beauté les amoureux, Dejan Sparavalo tonitrue un Dr. Lorenzo de carnaval, Gorica Popovic donne à la grand-mère un timbre cuivré et une jolie dose d’humanité… Deux orchestres, de part et d’autre d’une passerelle les entraînent dans la fosse le Garbage Serbian Philharmonia et le No Smoking Orchestra. La musique originale du film composée par Goran Bregovic a été revue et relue, augmentée, transformée par Kusturica en personnes et ses copains.

La fête est trépidante, déjantée, décoiffée, drôle et sentimentale. On peut regretter les décibels inutiles de la sonorisation et rêver d’entendre ces garçons et ces filles à voix nues, ces musiciens en tête-à-tête avec leurs instruments. Mais c’est la loi du genre. Un punk-opéra, un rock-opéra n’est pas un opéra comme les autres, même à l’Opéra Bastille. Pour une écoute plus sereine on peut toujours savourer chez soi le CD de 14 chansons du spectacle enregistré chez Decca et en régler le son à son juste volume.

Le Temps des Gitans. Sur une idée de Marc di Domenico, un punk opera d’Emir Kusturica, texte de Nenad Jankovic d’après le scénario original de Gordan Mihic et Emir Kusturica, musiques de Dejan Sparavalo, Nenad Jankovic, Stribor Kusturica. Mise en scène Emir Kusturica, direction musicale Dejan Sparavalo, décors Ivana Protic, costumes Nesa Lipanovic. Avec les musiciens du No Smoking Orchestra et du Garabage Serbian Philharmonia et la participation de la Maîtrise des Hauts de Seine et du Chœur d’Enfants de l’Opéra National de Paris ; et les comédiens chanteurs Nenad Jankovic, Milica Todorovic, Stevan Andjelkovic, Ognjen Sucur, Dejan Sparavalo, Marijana Bizumic, Gorica Popovic.
Opéra Bastille – du 26 juin au 14 juillet, en soirée à 20h, matinées à 14h30 les 8, 14 et 15 juillet. La matinée du 14 juillet sera gratuite. –
0 829 89 90 90

Crédit photos : Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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