Critique – Opéra Classique

Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner

Beauté absolue pour un nouveau rendez-vous de l’Opéra de Lyon avec Alex Ollé, sociétaire du collectif catalan de La Fura dels Baus

Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner

Après l’émerveillement de son Tristan et Isolde (WT 2831 du 8 juin 2011), la sensible intelligence du Prisonnier de Luigi Dallapiccola et d’Erwartung d’Arnold Schönberg (WT 3689 du 10 avril 2013), il revient sur la scène lyonnaise avec l’un des premiers grands opéras de Richard Wagner, Der Fliegende Holländer/Le Hollandais volant rebaptisé en français Le Vaisseau Fantôme.

Splendeur de l’orchestre dirigé par Kazushi Ono, chant en équilibre d’une distribution homogène, déroulement d’images à couper le souffle, on s’embarque dès les premières mesures dans un voyage qui laissera des ondes dans nos mémoires. Le choc des oreilles s’allie à celui des yeux.

Tandis que la musique tempête en rage et en orage, sur scène le ciel se déchire, nuages striés d’éclairs par-dessus une mer démontée où la houle respire, se gonfle et se défait comme un ventre de femme. A jardin, grimpant jusqu’aux cintres la silhouette d’une proue de navire tangue, laminé de pluie et de vent. Est-ce le navire errant du Hollandais maudit condamné à perpétuité à parcourir les océans à moins de trouver, lors d’une escale octroyée tous les sept ans, l’âme sœur qui l’aimera jusqu’à la mort ? Ou celui de Darland le marchand voyageur qui rêve de la fortune que lui apporterait sa fille Senta moyennant mariage avec un bon parti ? L’un ou l’autre ou les deux à la fois, qu’importe puisque les hommes sont appelés à se rencontrer sur la baie où s’échoueront leurs navires. Pendant ce temps, Senta chantant une ballade, découvre le sort du nomade des mers et s’en éprend avant même de l’avoir rencontré. Lorsqu’ils se rencontreront, le coup de foudre réciproque sera instantané.

Le réel et le fantasmagorique

Une fois ancrés, les cargos vont se décharger dans une nature que les éléments auront peu à peu métamorphosée. Et c’est là que le subtil talent d’Alex Ollé se déploie dans les décors à transformations d’Alfons Flores, les lumières lustrées d’Urs Schönebaum et les vidéos mouvantes de Franc Aleu. Tout se développe l’air de rien, de ne pas y toucher, comme si les changements allaient de soi pour dénoncer, au fil des actions et des images, une société soumise au profit où règne l’exploitation des plus démunis et la pollution qui anéantit la nature.

De la carène désossée du cargo de Darland, débarquent des ouvriers en haillons qui transbordent des panneaux de tôles rouillées sur une décharge tandis que la mer asséchée, se gonfle en dunes sableuses d’où toute végétation a disparu. Les cales du bateau fantôme se peuplent d’un équipage de spectres, silhouettes blêmes grimpant le long des parois et s’envolant dans l’infini. Tout se mêle, le réel et la fantasmagorique.

Simon Neal, hollandais d’ici et d’ailleurs, au port aristocratique et au jeu distancié, une voix fragile où la douceur se rompt de graves coupant comme des lames.
Magdalena Anna Hoffmann : Senta adolescente au timbre lumineux passe de la fraîcheur de l’enfance encore proche à la maturité prête au sacrifice suprême, Falk Struckmann, basse de premier ordre est le parfait Darland, à la fois bonhomme et madré, papa/homme de commerce et de compromis. Parcours sans faute pour les seconds rôles comme le ténor Tomislav Muzek (Éric sincère), Luc Robert (Le Pilote) et Eve-Maud Hubeaux (Mary).

Pour servir cette œuvre mythique où tout le Wagner à venir est déjà en gestation, à l’excellence des chœurs se joint celui de l’Orchestre que Kazushi Ono dirige en amplitude et nuances. Il connaît la partition jusqu’au moindre soupir. Il y a 9 ans à la Monnaie de Bruxelles c’est lui avait sauvé une fade nouvelle production signée Willy Decker (voir WT 804 du 20 décembre 2005). Ici il en élargit encore la portée par ses battues habitées, son sens du tragique et du mélancolique. Sublime tout simplement.

Le Vaisseau fantôme/Der fliegende Holländer de Richard Wagner, orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon direction Kazushi Ono, chef des chœurs Philip White, mise en scène Alex Ollé/La Fura dels Baus,Décors Alfons Flores, costumes Josep Abril, lumières Urs Schönebaum, vidéo Franck Aleu. Avec Simon Neal, Falk Struckmann, Magdalena Anna Hoffmann, Tomislav Muzek, Luc Robert, Eve-Maud Hubeaux.

Opéra de Lyon, les 11, 13, 15, 17, 22, 24 octobre à 20h, les 19 et 26 à 16h.

04 69 85 54 54 – wwwopera-lyon.com

Photos Jean-Louis Fernandez

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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