jusqu’au 10 juillet

Le Printemps des comédiens de Montpellier fête ses trente ans

Un florilège d’excellence artistique à l’affiche

 Le Printemps des comédiens de Montpellier fête ses trente ans

Créé en 1986 par Daniel Bedos, et porté par la vague enthousiaste qu’avait su alors susciter la gauche au pouvoir, le Printemps des comédiens s’est d’emblée affiché comme un espace incontournable de l’effervescence du théâtre public où, dans le Domaine d’O, se croisaient en toute convivialité les grands noms de la création et les jeunes troupes émergentes. Aux marches de l’été, on y venait prendre une manière d’apéro artistique avant le raout Avignonnais. Au fil du temps, des modes, autant que soucieuse d’élargir son public, la manifestation, délaissant un peu la part « comédiens » de son appellation, s’est largement ouverte au cirque dans toutes ses variétés et composantes. Ne cessant, comme tout corps vivant, d’évoluer, sous l’impulsion de Jean Varela qui le dirige depuis 2011, le Printemps des comédiens revient à ses fondamentaux, ceux d’un théâtre d’art au service du public et des artistes. Célébrer son trentième anniversaire est pour son directeur l’occasion d’enfoncer le clou de ses visées en « témoignant d’un état du monde théâtral » à travers une vingtaine de spectacles déployés selon trois axes : Les grands maîtres, les bricoleurs de génie, la jeune garde française.

Au chapitre des grands maîtres, pour ouvrir les festivités et mettre les spectateurs en appétit : le légendaire Arlequin, serviteur de deux maîtres du Piccolo teatro dans la mise en scène de Giorgio Strehler. Plus proche dans sa réalisation mais non moins fabuleux Battlefield , spectacle conçu par Peter Brook « comme une incise dans ce monument d’imaginaire » qu’est l’épopée du Mahabharata, et à jamais le mythique spectacle qui, il y a trente-six ans, inaugurait la carrière Boulbon et enchantait le Festival d’Avignon. Loin des tumultes épiques des dieux, mais toujours avec la complicité de Jean-Claude Carrière, c’est la moelle de l’œuvre qui est proposée comme une épure pour laquelle quatre comédiens et un musicien suffisent à faire surgir tout un monde où s’y soulèvent des questions posées dans la nuit des temps et qui valent pour aujourd’hui ; telle celle-ci : Comment reconstruire la vie sur les cadavres d’un champ de batailles ?

Parmi ceux dont la pratique ajoute le plus souvent quelques belles pages à l’histoire du théâtre, Georges Lavaudant qui, après l’orgueilleux panache de Cyrano de Bergerac il y a trois ans, retrouve le Domaine d’O avec un texte étrange et rare, un de ces diamants noirs de la littérature, Le Rosaire des voluptés épineuses . Son auteur, Stanislas Rodanski, écrivain foudroyé comme Antonin Artaud et qui se réclamait de Lautréamont et Gérard de Nerval. Compagnon de route du surréalisme, admiré notamment par l’exigent Julien Gracq, Stanislas Rodanski qui affirmait « j’écris pour faire acte de présence à moi-même » déserta la vie comme il avait déserté la Légion Etrangère, décida à 27 ans de se faire enfermer dans un hôpital psychiatrique où il vécut jusqu’à sa mort en 1981 à l’âge de 57 ans, laissant derrière lui une œuvre de forte densité poétique et marquée du sceau de l’énigme. Ainsi en est-il de la pièce Le Rosaire des voluptés épineuses . On y rencontre un homme et une femme "fantasmée", qui au cours d’un dîner intime aux allures de funérailles entament un chant poétique où l’amour et la mort dansent un étrange ballet. Pour cette création, Georges Lavaudant retrouve Frédéric Borie qui fut son Saint-Just dans La Mort de Danton et Christian dans Cyrano .

Au chapitre de la jeune garde, tandis que la Compagnie In Situ, avec Poison de la néerlandaise Lot Vakeman, nous parle « du dur métier de vivre » comme le disait si bien Cesare Pavese, le collectif OS’O s’inspire de ce toujours contemporain qu’est Shakespeare, mixe Timon d’Athènes et Titus Andronicus « pour nous faire assister à l’implosion d’une famille à l’heure de l’héritage ». Il y infiltre un texte très actuel sur la dette, celle mondiale, celle des états comme des particuliers qui font de la violente et explosive réunion de famille où les bonnes manières masquent les pires cruautés , le miroir de notre monde.

C’est à une première en France et à une expérience sensorielle que nous convie le Printemps des comédiens avec La Rencontre concoctée, « bricolée » par le britannique Simon McBurney maître de la scène européenne. La Rencontre est celle de tribus perdues au cœur de la forêt amazonienne où nous embarque, en sons et en images, le metteur en scène qui a conçu son spectacle « comme une embardée du temps et de l’espace, une bulle d’émerveillement dont on sort chaviré ». Autre bricoleur haut de gamme dont chaque retour est un nouvel enchantement, James Thierrée et son univers baroque et surréaliste, flamboyant et poétique. « Quelque part entre Nautilus de Jules Verne et le rêve éveillé », le comédien, acrobate illusionniste, convoque à ses côtés une contorsionniste, une chanteuse, un comédien danseur, une danseuse pour nous dire que La Grenouille avait raison .

Résolument recentré sur le théâtre d’art, le Printemps des comédiens n’en reste pas moins pluridisciplinaire et fait toute sa place à la musique avec notamment, Le plus près possible de Pâques à New-York concert parlé de David Lescot, à la danse avec Michèle Anne de Mey et ses nano-univers (Cold Blood) et Yoan Bourgeois qui, avec Tentatives d’approche d’un point de suspension brouille les frontières de la danse, du théâtre et du cirque.

Dans le domaine du cirque, avec CirkVost et ses vertigineux échafaudages de bambous (BoO) et la troupe québécoise Les 7 doigts de la main qui avec Tryptique défie la pesanteur entre art du cirque et danse, Jean Varela invite les maîtres du genre mais n’oublie pas la jeune garde qu’incarne avec brio le Cirque Poussière, implanté dans la Région. Entre exigence technique et bric à brac, poésie et cocasserie, la troupe qui pourrait bien être une petite cousine des Deschiens, a toute sa place « parmi les plus délicieux théâtres-cirques musicaux d’aujourd’hui.

Enfin parmi les spectacles proposés pour cette édition, inclassable, théâtral, équestre, poétique, méditatif, musical, et cerise sur le gâteau d’anniversaire, On achève bien les anges (élégie) de Bartabas et de son théâtre équestre et preuve ultime que pour célébrer ses trente ans, Le Printemps des comédiens a mis les petits plats dans les grands pour offrir au public un magnifique et savoureux Festin estival.

Le Printemps des Comédiens du 3 juin au 10 juillet
Domaine départemental d’O tel 04 67 63 66 66 ou
www.Printempsdescomediens.com

photos : La Grenouille avait raison ©DR, La rencontre ©Jack Robbie

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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