Le Nid de cendres de Simon Falguières
Réenchanter le monde
« Réenchanter le monde par la parole », voici le projet en forme de manifeste de Simon Falguières. Ce jeune auteur de 30 ans, metteur en scène, comédien et directeur de compagnie (Le K), a écrit et mis en scène sa première pièce, Pluie, neige, silence à 14 ans ! Autant dire qu’il possède du métier dans le domaine de l’écriture théâtrale, avec une prédilection affirmée pour le conte. Il raconte comment il a découvert l’importance de ce genre littéraire : « Ma mère est professeur de français dans un collège breton. Elle m’a dit un jour qu’elle avait découvert que certains enfants ne connaissaient plus les contes. Elle pensait qu’ils étaient perdus émotionnellement. Ce constat m’a profondément marqué. L’un de nos travaux de troupe est de rappeler aux hommes la vieille magie des histoires. Ce lien avec le monde des histoires anciennes est omniprésent dans mon écriture. »
Simon Falguières tient le pari quand il propose, au Théâtre du Nord, les deux premières parties de son Nid de cendres. Avec ses amis comédiens, tous issus de la classe libre du Cours Florent, il mitonne depuis longtemps cette épopée de douze heures. Pendant cinq ans, tous les étés, ils ont répété « cette poésie musicale portée par le souffle des acteurs ». « Mon écriture est d’oralité », explique Falguières. Il a fallu cinq ans pour faire aboutir ce projet où alternent drame, farce, pantomime, comédie sous les auspices de la fable et du conte. Simon Falguières tient particulièrement à cette manière de dire le monde d’aujourd’hui : « Je veux que le public perçoive dans notre fable, l’écho de notre présent mêlé aux histoires millénaires des contes. »
Le Nid de cendres, nous parle du monde d’aujourd’hui avec les moyens de la fable. Tout débute dans le vacarme, la destruction et la fureur meurtrière. Ce « Il était une fois » nous entraîne donc dans un monde séparé en deux « comme une pomme coupée en deux hémisphères » prévient-on dans le prologue. D’un côté, l’Occident, jouet de révoltes violentes succombe sous les flammes. Dans ce brasier, un couple de cadres moyens donne naissance à un fils, Gabriel, et doit l’abandonner dans sa fuite éperdue devant la roulotte d’une troupe de comédiens ambulants. Les saltimbanques le recueillent avec joie.
De l’autre coté de la planète, il était une fois « un royaume à la Maeterlinck ». Ce monde de conte de fées s’agite avec Roi amoureux, Reine mourante, princes et surtout princesse. Elle se prénomme Anne. Tous tentent de changer le destin de cet univers en voie de désenchantement. Anne doit prendre la mer à la recherche d’un remède pour sauver sa mère. Elle va naviguer sur une mer peuplée de poissons étranges. Elle traversera les limbes où elle rencontre les âmes errantes de Shakespeare, Homère et Sophocle qui s’écharpent sur la pérennité de leurs œuvres. Elle déjoue les pièges du Diable qui tente de lui interdire les rivages dévastés de l’Occident. Or, il est crucial qu’Anne rencontre Gabriel pour sauver les deux hémisphères en perdition. Cette réunion rédemptrice constitue le dernier acte de la représentation. Ces chemins divers et initiatiques, baroques, pour que toute vie recommence, représentent la ligne de force de ces cinq volets de Nid de cendres.
Mais, au-delà de la composition de cette intrigue et de ces variations aux accents oniriques, c’est l’utilisation maîtrisée des multiples styles de narration qui attire l’attention. Le glissement d’un univers à l’autre doit beaucoup également à la scénographie de Emmanuel Clolus, collaborateur attitré de Wajdi Mouawad et d’Eric Lacascade. Cette continuité du propos tenu doit aussi au talent déployé par les quinze comédiens menés par l’excellent John Arnold ( tout à la fois Roi et chef de troupe). Ces talents mêlés rendent vraisemblable l’incongru et déploient un charme certain renvoyant à notre part d’enfance pour nous effarer de la violence du monde.
Ce projet a séduit Christophe Rauck, le directeur du Théâtre du Nord et Didier Thibaut, jusqu’à ces derniers jours, directeur de la Scène nationale La Rose des vents. Sans leur soutien, nul doute que « cet acte de foi », comme Simon Falguières qualifie sa création, aurait connu de grandes difficultés à voir le jour. Comme l’écrit Christophe Rauck : « Il y a des aventures qu’il ne faut pas rater. Il y a des naissances qu’il faut accompagner. »
Le Nid de Cendres de Simon Falguières
La Rose des vents à Villeneuve d’Ascq, le 31 janvier, le 1er février à 19h. Le 2 février à 16h.
Le Tangram à Evreux, le 9 mars à 17h.
Le Trident, Scène nationale de Cherbourg, le 23 novembre
La Comédie de Caen, 29 novembre
Le DSN Dieppe, Scène nationale , le 7décembre
Le CDN de Rouen, le 14 décembre
Le Préau CDN de Vire, le 28 décembre.
Photo Simon Gosselin