Opéra de Lyon jusqu’au 20 octobre 2011

Le Nez de Dimitri Chostakovitch

Noire féerie chez les Soviets

Le Nez de Dimitri Chostakovitch

Créée en 2010 au Metropolitan Opera de New York, cette ébouriffante réalisation de l’opéra que Chostakovitch composa à l’âge de 24 ans, fut la vedette absolue du dernier Festival d’Aix en Provence, coproducteur avec l’Opéra de Lyon où il vient de poser le charme et l’humour de son abracadabrantesque épopée nasale. Insolent, vivifiant, un bonheur à voir et à entendre.

C’est chez Gogol (1809-1852) que Chostakovitch (1906-1975) puisa le sujet de cette histoire sans queue ni tête où un assesseur de collège s’éveille un matin privé de son nez, alors que la veille son barbier en a trouvé un, entre les rondelles d’oignon du petit pain chaud que lui prépare son épouse. Alors ce nez minuscule devient un Nez majuscule qui, déguisé en conseiller d’Etat défie le monde et fait ses dévotions à l’église. Gogol, auteur majeur de la littérature russe du 19ème siècle, l’homme des Ames Mortes, du Révizor et du Journal d’un Fou, avait un grand nez qui le gênait et l’inspirait. Il en fit l’un des récits imaginaires de ses Nouvelles de Pétersbourg. Chostakovitch décida pour son premier opéra de profiter de ses sarcasmes pour se mettre en rupture avec la tradition musicale et inventer un nouveau langage sur fond de percussions ironiques et de rires.

Le succès public fut immédiat mais la critique divisée, les plus acerbes l’emportant finalement sur les enthousiastes. Le Nez finit par disparaître du répertoire pour ne revenir sur scène qu’un an avant la mort du compositeur.

Kentridge, homme de spectacles à tout faire

William Kentridge s’est souvenu de tous ces aléas de mesquine politique et les utilise avec délectation. Plasticien, dessinateur, cinéaste, vidéaste, ce Sud-Africain est une sorte d’homme de spectacles à tout faire, à tout oser. Manipulateur d’images, illusionniste, ingénieur des formes, son génie, car c’en est un, consiste à traiter les images comme des objets et les objets comme des hommes Mais contrairement aux habituelles utilisations de la vidéo plaquant du moderne sur de l’ancien, Kentridge s’en sert comme d’une machine à remonter le temps.

Il utilise les ombres chinoises comme un jeu de lego, fabrique à vue la silhouette d’un cheval qu’il fait galoper avec un Nez pour cavalier, il fait se balader ce Nez dans d’improbables paysages, grimper des escaliers, danser sur des toits, il reconstitue le portrait du petit père des peuples, lui fait fumer la pipe et priser du tabac. Les drapeaux rouges s’agitent et tombent en miettes. La censure stalinienne qui empoisonna la vie du compositeur est brandie comme un jouet maléfique. Les images se succèdent à grande vitesse. Pas une minute de répit, tout est emporté dans la folie du sujet et la fantaisie de la musique. La cohésion avec la scénographie de Sabine Theunissen est totale. Le carrousel des images projetées se marie avec les décors fixes, la chambre de Kovaliov, la boutique du barbier Yakovlevitch surgissant parfois comme suspendus dans le vide.

Distribution 100% russe à la hauteur de l’enjeu

A La Monnaie de Bruxelles en 2005, Kentridge avait signé une Flûte Enchantée où le flot et la virtuosité des images occultaient en quelque sorte le sens réel de l’œuvre (voir webthea du 12 mai 2005). Rien de tout cela dans le superbe charivari de ce « pied de Nez » aux routines où les lettres cyrilliques de la langue russes flirtent avec les expressions anglaises.

La distribution 100% russe est à la hauteur de l’enjeu. Ils ont des voix, ils jouent comme des comédiens, comme des clowns, voire, ici et là, comme des acrobates. Vladimir Samsonov est Kovaliov avec ce qu’il faut d’ahurissement, Vladimir Ognovenko fait du barbier un hurluberlu allumé, Gennady Bezzubenkov campe un médecin barjot, Alexandre Kravets a du Nez et d’autres appendices. Tous et toutes se dépensent dans une multitude de personnages soutenus par ceux de l’excellent chœur de l’Opéra de Lyon et surtout par la direction quasi magique de Kazushi Ono à la tête de l’orchestre maison au meilleur de sa forme.

Le Nez de Dimitri Chostakovitch, livret du compositeur secondé par A. Preis, G. Ionine, E. Zamatine. Chœur et orchestre de l’Opéra de Lyon, direction Kazushi Ono, mise en scène et vidéo William Kentridge, scénographie Sabine Theunissen et William Kentridge, costumes Greta Goiris, lumières Urs Schönebaum. Avec Vladimir Samsonov, Alexandre Kravets, Andrey Popov, Vladimir Ognovenko, Claudia Waite, Vasily Efimov, Yuri Kissin, Gennady Bezzubenkov, Margarita Nekrasova, Tehmine Yeghiazayan .

En coproduction avec le Metropolitan Opera de New York et le Festival d’Aix en Provence.

Opéra de Lyon les 8, 10, 12, 14, 19, 20 octobre à 20h, le 16 à 16h.

0 826 305 325 – www.opera-lyon.com

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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