Paris, au 104-Centquatre puis à la Comédie-Française

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux

Une course folle et immobile

Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux

Le metteur en scène bulgare Galin Stoev n’avait jusqu’alors convaincu le public français que lorsqu’il s’attachait à des textes contemporains. Son Illusion comique avait beaucoup déçu : il faut dire que nous ne laissons pas facilement les étrangers s’emparer de notre répertoire, surtout à la Comédie-Française. Muriel Mayette lui a fait une nouvelle fois confiance en lui attribuant le joyau de l’esprit français, Le Jeu de l’amour et du hasard – dont les premières représentations au Centquatre confèrent à ce lieu une aura qu’il avait rarement atteint. Cette fois, l’accord se fait, parfaitement. Pourtant, Stoev remet en place son dispositif habituel : des panneaux vitrés qui permettent de souligner les différents plans, l’avant-scène et l’arrière-scène, le visible et le flou, le clair et le mystérieux. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux dans le spectacle, cette espèce de bocal vide dans lequel les acteurs passent et repassent en courant. Mais les costumes n’ont pas été totalement transposés comme pour la comédie de Corneille. Ils semblent sortir d’un grenier, comme si le XVIIIe siècle de la pièce était une recomposition théâtrale, un jeu sur l’époque et sur la nôtre. Pour se déguiser en marquise, la servante Lisette porte une perruque pyramidale, pour mieux montrer qu’elle n’a rien compris à l’élégance. Silvia, elle, arbore un moment la tenue noire avec tablier blanc des soubrettes du XIXe siècle. Quant à Mario, il fait des expériences scientifiques avec un appareil avec fils, pinces et ampoules qui rappelle les jouets de « science amusante » de la fin du XIXe. Mais tout cela n’est que clins d’œil et bricolage farfelu. Nous sommes bien dans la société du temps de Marivaux, où deux jeunes aristos promis au mariage se font passer pour des serviteurs, avec l’espoir de mieux examiner leur futur conjoint. Dans le même temps, leurs valets jouent les maîtres. La confusion des situations manque de faire exploser l’ordre social et ne fait, en fin de compte, qu’exploser la vérité des sentiments – et celle des classes sociales.

Stoev s’est assez désintéressé de l’aspect de manipulation qui était central dans la très belle mise en scène de Gilles Bouillon. Le père, qui sait tout et tire les ficelles, reste discret. D’où une interprétation très sobre – ô surprise ! – et juste de Christian Hecq. Tout l’accent est mis sur l’hyper-sensiblité et sur la vitesse. Les acteurs qui tiennent les rôles centraux, Léonie Simaga qui joue Silvia et Alexandre Pavloff qui est Dorante explorent toute une série d’émotions raciniennes, avec une merveilleuse délicatesse. Aux autres reste la fantaisie qui leur donne une belle originalité : Pierre-Louis Calixte interprète un inattendu Arlequin, hagard, étrange, accablé, dépassé ; Suliane Brahim injecte beaucoup de folie à sa Lisette à la perruque en pièce montée. Pierre Niney donne de l’éclat au personnage généralement effacé de Mario. La réussite de cette grande soirée tient dans l’opposition subtilement maîtrisée entre la lente découverte des sentiments et l’action précipitée des mouvements. Comme une course à la fois folle et arrêtée.

Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène et scénographie de Galin Stoev, costumes de Bjanka Adzic Ursulov, lumière d’Elsa Revol, musique de Sacha Carlson, assistante à la mise en scène : Alison Hornus, avec Alexandre Pavloff, Léonie Simaga, Pierre-Louis Calixte, Christian Hecq, Suliane Brahim, Pierre Niney. Comédie-Française, au 104- Centquatre jusqu’au 4 octobre, puis à la Salle Richelieu, 11 octobre-31 décembre, tél. : 08 25 10 16 80. (Durée : 2 h).

Photo Brigitte Enguérand

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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