Critique – Théâtre
Le Fantôme de Benjamin Fondane
La bouleversante renaissance d’un grand poète sacrifié
En une petite heure qui passe plus vite qu’un soupir, soliste entre ombre et lumière sur la petite scène du Théâtre de la Vieille Grille, Jacques Kraemer réussit à redonner la parole et la vie à un poète oublié, magicien du verbe, archéologue de la pensée : Benjamin Fondane, assassiné à Birkenau Auschwitz le 3 octobre 1944 alors que Paris était libéré depuis le 25 août. Une grande figure de la littérature disparaissait. Et la mémoire de son œuvre allait peu à peu s’évaporer avec lui.
Qu’est-ce que la notoriété ? Qu’est-ce que l’oubli ? Vaste question dont les exemples multiples pourraient remplir un dictionnaire. Un tel, musicien, écrivain, adulé de son vivant, brusquement disparaît dans les brumes. Puis, grâce à la clairvoyance, à l’entêtement d’un admirateur de l’ombre, réapparaît, reprend forme et fascination. Comme Jacques Kraemer, poète lui aussi, comédien, metteur en scène, homme de théâtre au long et fructueux parcours depuis la création du Théâtre Populaire de Lorraine en 1963, vient de le faire pour Benjamin Fondane dont la symphonie des mots et le rayonnement de la pensée l’enchantent depuis longtemps.
La mort invoquée, pressentie
Il était né en Roumanie en 1898. Juif destiné à l’exil, comme tous ceux poursuivis par les pogroms de ce temps-là, sous ces latitudes de l’est de l’Europe. Ses écrits de philosophe, ses poèmes ont font une personnalité reconnue dès son plus jeune âge. Il a 25 ans quand il se réfugie à Paris, y apprend la langue française qu’il utilise pour continuer à écrire comme s’il s’agissait de sa langue maternelle. Il s’associe aux surréalistes, devient l’ami de Tristan Tzara, d’Arthur Adamov, tourne des films, célèbre Rimbaud et Baudelaire, les scrute et les apprivoise. Ses études, ses poèmes sont dans toutes les bibliothèques. La nationalité tricolore lui est attribuée en 1938. Quand les années noires de l’Occupation tombent sur la France, il invoque la mort, comme s’il pressentait qu’elle lui était prédestinée… Dans le quartier de la rue Monge où il habite, un voisin français ordinaire dénoncera son appartenance juive aux autorités de Vichy en mars 44. Drancy-Auschwitz : la mort, si souvent invoquée, le rejoint. Loin du Père Lachaise.
Avec sa voix de baryton Martin, grave et légère à la fois, son regard en transparence, Jacques Kraemer fait vibrer en douceur le verbe de Fondane. Chaque mot prononcé est de lui et quand les musiques de Rimbaud ou celle de l’Albatros de Baudelaire viennent se glisser entre les extraits choisis et reliés, ces musiques résonnent comme partie indissociable d’un ensemble harmonique qui s’accroche aux songes. « … né pour chanter la joie… » écrivait Fondane. Mort pour avoir trop aimé la vie. Kraemer en fait son double. Inoubliable.
Le fantôme de Benjamin Fondane, poème et textes d Benjamin Fondane par Jacques Kraemer. Durée : 1 heure
Théâtre de la Vieille, les jeudi, vendredi & samedi à 20h30, les dimanche à 18h jusqu’au 7 décembre 2014
01 47 07 22 11 – vieillegrille@gmail.com