Théâtre du Capitole (Toulouse)

Le Couronnement de Poppée

Le couronnement d’Anne-Catherine

Le Couronnement de Poppée

Rome est toujours dans Rome et à deux millénaires de distance les tyrans continuent de régner selon leur bon plaisir. A Toulouse, Nicolas Joël a transposé Le Couronnement de Poppée de Monteverdi de la Rome de Néron à celle de Mussolini et ce voyage dans le temps lui va comme un gant. Il est vrai que l’ultime chef d’œuvre de l’inventeur de l’opéra se prête à bien des fantaisies. L’irrésistible ascension sur les marches du pouvoir de la maîtresse de l’empereur reste bien l’archétype de l’amoralité absolue en matière politique.

Puisée dans les Annales de Tacite, cette fiction a pour héros des hommes et des femmes qui ont réellement existé et raconte des événements inscrits dans les livres d’histoire : la passion de Néron pour la belle et ambitieuse patricienne Poppée, la répudiation de l’impératrice Octavie, le suicide du philosophe Sénèque ordonné par Néron, le couronnement de l’usurpatrice, série de coups bas qui, à travers le philtre musical de Monteverdi et celui du livret de Busenello, devient le triomphe de l’Amour sur celui de la Vertu. Le mal l’emporte sur le bien, le païen sur le chrétien et la chair sur l’esprit autant d’ingrédients sulfureux qui, depuis la redécouverte du répertoire baroque, a mis en transes l’imagination des metteurs en scène. Du meilleur au pire. De la grâce autrefois d’un Jean-Pierre Ponelle jusqu’à la vulgarité trash de David Mac Vicar ou le grotesque obscène de David Alden, auteurs de deux productions vues à Paris lors de la saison dernière.

Elégance et humour

Emerveillement et soulagement à Toulouse où l’élégance et l’humour se disputent les clés de la réalisation de Nicolas Joël. Il nous emmène donc dans la Rome des années trente du XXe siècle et Néron y règne tel un petit roquet fasciste ayant puissance de vie et de mort sur l’ensemble de ses citoyens et plus particulièrement sur ceux qui partagent les coulisses de son palais : une rotonde blanche pivotante, hérissée de statuaires musclées imaginée par Ezio Frigerio et dans laquelle claquent les bottes des uniformes blancs et noirs réinventés par Franca Squarciapino.

« Les lois sont faites pour les serviteurs, seuls les rois ont le pouvoir de les abolir et de les remplacer  » : rien de nouveau sous le soleil des chefs de tout acabit dans le texte bigrement moderne de Busenello et dont, ici, on savoure chaque syllabe. « La nature nous fait naître libres - le mariage fait de nous des esclaves  » entend-on encore de la bouche du petit dictateur pressé de se débarrasser de son encombrante moitié : cette Octavie qu’il condamnera à l’exil de sa patrie et de sa raison d’être pour faire place à une rivale aux lèvres aussi gourmandes que l’ambition.

Incandescence charnelle

Nicolas Joël en a confié la sensualité dévoreuse à la soprano Anne-Catherine Gillet qui est si belle et si douée qu’elle ferait fondre un glacier. Comédienne autant que chanteuse au legato raffiné et aux aigus qui grimpent aux cimes sans avoir l’air d’y toucher. Avec en prime une souplesse d’acrobate qui lui permet de chanter la tête en bas, on pourra dire que ce couronnement est celui de son entrée dans la cour des grands du lyrique.

Sophie Koch, l’autre pensionnaire privilégiée du Capitole, mezzo au timbre d’or mat lui oppose un Néron jeune loup, lascif au lit et sec en politique. Tout à son plaisir, le couple relègue aux oubliettes scrupules et nobles sentiments et son duo final - pur ti miro, pur ti godo, pur ti stringo - porte la passion à un incroyable degré d’incandescence charnelle

Leçon de dignité

Catherine Malfitano, toujours en forme, apporte une noirceur tragique à Octavie, l’impératrice sacrifiée tandis que le chant cuivré de la basse Giorgio Giuseppini transforme le désespoir de Senèque en leçon de dignité. Ces deux figures mélancoliques contrebalancent et tranchent le rythme de commedia buffa de cette drôle de farce de sexe et de pouvoir, avec ses Pierrots et ses clowns blancs, Ottone (le contre-ténor Max Emmanuel Cenci), Arnalta (Gilles Ragon), Nutrice (Anders Dahlin) et sa Colombine de service, la Drusilla si joliment campée par Sabina Puertolas.

Christophe Rousset et sa quinzaine de Talens Lyriques, grands routiers du répertoire baroque, enlèvent ce petit bijou avec tout l’à propos que requiert sa sensualité et sa très grave légèreté. Un bonheur à ne pas manquer.

L’Incoronazione di Poppea, de Monteverdi et Busenello par l’ensemble Les Talens Lyriques, direction Christophe Rousset, mise en scène Nicolas Joël, décors Ezio Frigerio, costumes Franca Squarciapino, lumières Vinicio Cheli. Avec Anne-Catherine Gillet, Sophie Koch, Catherine Malfitano, Giorgia Milanesi, Raffaella Milanesi, Khatouna Gadelia, Max-Emmanuel Cencic, Gilles Ragon, Anders Dahlin, Giorgio Giuseppini, Sabina Puertolas.
Théâtre du Capitole à Toulouse, les 7,11 & 14 avril à 20h, les 9 & 16 avril à 15h - 05 61 63 13 13.

Photo : Patrice Nin

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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