Critique – Opéra & Classique

Le Cercle de Craie (Der Kreidekreis) d’Alexander von ZEMLINSKY

La merveilleuse surprise du cercle.

Le Cercle de Craie (Der Kreidekreis) d'Alexander von ZEMLINSKY

« Le cercle de craie », est le septième opéra d’Alexander von Zemlinsky. Le compositeur en assura également le livret, qu’il écrivit à partir du texte de la pièce éponyme d’Alfred Henschke, auteur plus connu sous le nom de Klabound. L’opéra fut présenté à Zurich en 1933, à la veille de l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Il fut très peu représenté pour des raisons politiques évidentes. Alexander von Zemlinnsky émigra aux USA en 1939 et mourut près de New York en 1942. Sa musique ne fut plus jouée pendant des décennies.

Le livret du « Cercle » emprunte une ancienne légende chinoise : Tschag-Ling, seconde épouse de monsieur Ma, et ancienne pensionnaire d’une maison de thé, est accusée par la première épouse, Yü-Pei, de l’assassinat de leur mari qu’elle-même a tué. Yü-Pei sera confondue lors d’une sorte de jugement de Salomon, rendu par l’Empereur en personne. Il reconnaîtra aussi la paternité de l’enfant de Tschag-Ling. En effet, le jeune Empereur avait connu celle-ci dans la maison de thé qu’il fréquentait incognito avant la mort de son père.

Le cercle : une figure qui unit et qui sépare

Pendant le déroulement du conte est apparue à plusieurs reprises, et avec des intentions différentes, la figure d’un cercle, tracée à la craie par divers personnages, sur le sol ou sur le mur. Les chanteurs étaient censés se situer, soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de la forme géométrique, chaque position –interne ou externe- ayant une influence sur la continuité de l’histoire.

Le sujet est très tendu tout au long du conte, et même si le déroulement de l’action offre des moments de calme et de tranquillité, la musique rappelle sans arrêt les pensées, les désirs, les rêves et les craintes, bref, la violence qui anime chaque personnage. Les thèmes et les rythmes musicaux se succèdent à grande vitesse, sans répétitions ni développements. La partition n’est pas totalement originale et peut rappeler, ici ou là, la musique d’autres auteurs de l’époque. On y trouve le sprechgesang, bien entendu, mais aussi des sonorités que l’on pourrait associer, par exemple, à Kurt Weill, à Ernst Krenek, à Richard Wagner ou encore à Richard Strauss. C’est la cohérence de ce patchwork musical qui fait le charme et l’intérêt de la partition.

Une équipe très bien soudée

L’Opéra de Lyon a présenté cet opéra, pour la première fois en France, et c’est Lothar Koenigs qui a pris la direction de l’orchestre de la maison. Il a laissé énormément d’initiatives aux chanteurs, mais, en tenant la fosse d’une main de fer, il a aussi obligé la scène à être ferme sur l’essentiel, le rythme du phrasé, base de la continuité du récit.

Les chanteurs ont formé une équipe manifestement bien unie. La langue allemande ne posant de problème particulier à aucun d’eux, ils ont assumé leurs lourdes tâches vocales et dramatiques, la fleur au fusil. Bien sûr c’est Ilse Eerens -Tschang-Haityang, sublime de finesse et de ductilité, qui a montré la partie la plus visible de l’iceberg avec un grand sens de la responsabilité. Elle a récolté en retour les applaudissements du public les plus intenses.

Cependant, rien n’eût été possible sans le parfait soutien de tous les autres artistes sur scène. Nicola Beller-Carbone -Yü-Pei, la seconde épouse de Ma- en particulier, fieffée menteuse, raffinée, aux gestes tout en douceur malgré des intentions machiavéliques, s’est exprimée avec une totale maîtrise vocale et une intelligence dramatique traduisant l’osmose la plus totale entre l’artiste et son personnage. Et de semblables éloges pourraient être destinés au travail de Martin Winkler en Monsieur Ma, violent et fruste avant son second mariage, sensible et délicat après avoir épousé Tschag-Ling, ou pour Hedwig Fassbender la sage-femme qui trahit sa maitresse pour quelques pièces d’or données par Yü-Pei, ou encore pour Doris Lamprecht dans son bref, mais intense rôle de la mère de Tschag-Ling, obligée de vendre sa fille au tenancier Tong – Paul Kaufmann, ténor à la voix ample et puissante-.

Accordons une mention spéciale aux deux coolies, sympathiques et intéressés - Luke Sinclair et Alexander Pradier-, capables de mentir sans état d’âme devant le juge, afin de gagner eux aussi quelques taëls d’or. Ils ont introduit quelques instants d’hilarité, bienvenus dans ce sombre récit.

Richard Brunel, Deus ex machina de la soirée.

La lisibilité de la mise en scène de Richard Brunel a été facilitée par l’usage de structures mobiles –créées par Anouk Dell’Aiera- d’un blanc immaculé, évoluant en parfaite harmonie avec la musique. Elles ont ainsi transporté le public, de la maison de thé à celle de monsieur Ma jusqu’au au tribunal. Richard Brunel a obtenu le geste et le ton justes pour chaque réplique des personnages. C’est grâce à ce travail, individuel et collectif, de son équipe, que le spectateur est entré sans encombre au cœur de l’histoire. Une soirée vraiment inoubliable.

«  Le cercle de craie ». Opéra en trois actes et sept tableaux d’Alexander von Zemlinsky. Production Opéra de Lyon. Mise en scène de Richard Brunel. Décors d’Anouk Dell’Aiera. Costumes : Benjamin Moreau. Orchestre de l’Opéra national de Lyon. Direction musicale de Lothar Koenigs. Chanteurs : Lauri Vasar, Martin Winkler, Nicola Beller Carbone, Stephan Rügamer, Stefan Kurt, Zachary Altman, Paul Kaufmann, Doris Lamprecht, Hedwig Fassbender, Josefine Göhmann, Luke Sinclair, Matthew Buswell, Alexandre Pradier.
Orchestre, Maîtrise et Studio de l’Opéra de Lyon

Opéra de Lyon les 22 et 24 janvier et le 1 février
+33 (0)4 69 85 54 54 +33 (0)4 72 00 45 00
http://www.opera-lyon.com

Photos © Jean-Louis Fernandez

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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