Angers Nantes Opéra - Saison 2024-2025
Laisser les compositeurs s’ébattre
« Une œuvre du passé est vivante si elle est vue avec un regard d’aujourd’hui », nous dit Alain Surrans, directeur général d’Angers Nantes Opéra.
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- 17 octobre
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La saison 2024-2025 s’est ouverte avec Il piccolo Marat, comment exhume-t-on une œuvre inconnue comme celle-ci ?
J’ai reçu en 2021 un appel du directeur musical de l’Opéra de Livourne, Mario Menicagli, qui m’a suggéré de reprendre cet opéra dont l’intrigue se déroule à Nantes. Je connaissais cette œuvre qui ne m’avait pas beaucoup marqué musicalement, mais ce que j’ai vu à Livourne était impressionnant ! Vu l’effectif de l’orchestre, j’ai tout de suite compris qu’on ne le monterait qu’en version de concert, avec une action stylisée. J’ai tenu à valoriser le travail déjà fait, en pensant aux chanteurs qui n’ont pas beaucoup d’occasions dans une carrière d’aborder ces rôles. On retrouve d’ailleurs un rôle-titre, chanté chez nous par Samuele Simoncini [déjà entendu dans Tosca, en mai 2024], extrêmement exigeant, à la différence d’ailleurs des rôles de ténor de Puccini, contemporain de Mascagni.
Pourquoi faites-vous le parallèle avec Puccini ?
Mascagni et Puccini étaient très proches, et en même temps dans une rivalité organisée par leurs éditeurs. Initialement, leurs deux maisons d’édition, Sonzogno et Ricordi, étaient en concurrence. Bien qu’il ait composé peu d’opéras, Puccini a éclipsé Mascagni dont on ne retient en France que Cavalleria rusticana.
À quoi devons-nous nous attendre pour cette nouvelle saison ?
Je cherche toujours un équilibre entre les grands opéras, la création et la découverte. Nous avons cette année La Traviata et La Flûte enchantée en têtes de proue, mais c’est la diversité de notre programmation qui séduit le public. Nous avons la chance qu’il nous suive dans nos choix plus audacieux, je crois que c’est une question de confiance au fil des saisons. On musarde dans des répertoires très divers : depuis le early baroque avec Falvetti jusqu’à la création avec deux projets aux couleurs du jazz, assez inédits.
Jean-Marie Machado présentera son premier opéra, dont il est difficile d’imaginer la teneur… Est-ce d’ailleurs une composition écrite ?
La Falaise des lendemains est une espèce de grande œuvre en trois langues, le français, le breton et l’anglais, sur la base de ses univers, notamment les musiques latines et bretonnes. Nous ne savons pas encore à quoi cela ressemblera. Je n’ai encore rien entendu, les répétitions démarrent bientôt. C’est une musique écrite qui évoluera certainement jusqu’au bout au fil des répétitions, avec le concours des musiciens : des allers-retours qui enrichiront la musique de Machado, comme il le fait dans le jazz.
Quel cadre avez-vous donné à Jean-Marie Machado ?
Nous ne sommes plus dans une époque où l’on tient la plume du compositeur, avec les exigences et la pression d’un directeur de théâtre. Le directeur de l’Opéra Comique, Léon Carvalho (1825-1897), est un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire avec les compositeurs. Bizet en a fait les frais, et on voit la différence nette entre La Jolie Fille de Perth, ouvrage assez moyen, que Bizet a composé contraint, et Carmen où il a tenu à sa liberté. Le résultat est parlant. Je fixe un cahier des charges, que le compositeur fait sien pour s’ébattre à l’intérieur. Et il arrive aussi que j’infléchisse mes positions de départ. Ainsi, pour L’Annonce faite à Marie de Philippe Leroux, l’année dernière, j’avais demandé que les voix ne soient pas sonorisées, mais le compositeur m’a convaincu de l’inverse, grâce au travail de l’Ircam.
On donnera aussi la Messe pour une planète fragile, de Guillaume Hazebrouck. Pourquoi une Messe ?
C’est la poursuite d’une histoire après la réussite des Sauvages en 2021. Nous avons gardé une bonne partie des jeunes qui ont fait son succès et qui sont devenus adolescents. C’est une référence à la forme du texte ; elle reprend les interpellations qui sont celles de la messe : « prends pitié », « sainte est cette planète », sans jamais sacraliser toutefois. La messe a trait à la ferveur : il faut avoir une foi dans cette planète. Traiter ce sujet est pour moi une question de responsabilité, de citoyenneté et de collectif, d’où l’implication des jeunes dans cette aventure. Cette œuvre est l’occasion de rappeler aux plus jeunes que l’Opéra est leur maison.
L’opéra se saisit-il des questions contemporaines par la création ?
L’opéra, c’est une offre culturelle spectaculaire, un art de luxe qui doit résonner auprès du public, le faire venir dans la salle, le toucher. Si l’on fait La Traviata, c’est que la question de « la défaite des femmes » [relire L’opéra ou la défaite des femmes de Catherine Clément] est toujours aussi vivante. Quand plus aucune femme ne sera tuée par son conjoint, Carmen apparaîtra d’un autre âge, mais on en est très loin… Une œuvre du passé est vivante si elle est vue avec un regard d’aujourd’hui.
Croyez-vous que nous devions adapter les œuvres, les écourter, les réviser ?
Il ne faut pas couper les œuvres ni réécrire les livrets. Peut-être faut-il les expliciter, mais c’est à la mise en scène de créer l’intérêt, avec un environnement, un récit qui combine lectures de la musique et du texte. On se trompe lorsque l’on croit que trois heures, c’est trop long pour les plus jeunes. Écourter les œuvres n’apporte rien : les compositeurs créent leur monde, avec le temps qu’il faut, parfois cinq heures… Alors, ça peut sonner comme un défi ! Notre société donne des formats, celui de la chanson, de la série, du documentaire. Celui de l’opéra est long, mais quand l’œuvre est entière, cohérente, organique, on ne peut pas couper !
Que pouvez-vous nous dire du budget de cette nouvelle saison ?
C’est un soulagement, avec un budget composé avec un financement croisé : l’État, les deux Métropoles et la Région. On a mis un an pour boucler ce dialogue. La conclusion, c’est que nous revenons à la moitié de ce qui avait été amputé à mon arrivée en 2018. C’est surtout celle qui me succédera qui profitera de cette stabilité de budget.
Alexandra Lacroix vous remplacera à partir de la saison 2026-2027. Comment se passe le début de votre relation ?
Nous nous parlons beaucoup et tout se passe très bien. Alexandra prépare intégralement la saison 2026-2027, avec des choix artistiques tout autant que des aspects organisationnels, en particulier dans le travail avec les partenaires, au premier rang desquels l’Orchestre national des Pays de Loire (ONPL), qui a une mission symphonique. Le travail de programmation est très technique ! Elle a des idées intéressantes sur l’écologie, l’évolution des mises en scène, le rôle du mécénat, elle amène des idées neuves ! Elle travaille aussi avec un cahier des charges : grand répertoire et modernité. Je crois savoir qu’elle envisage un grand Verdi pour sa première saison… Je lui donne quelques conseils techniques pour lui faire gagner du temps, mais je ne m’immisce pas dans ses choix artistiques !
Terminons par vos conseils de lecture…
Je suis toujours dans ma période russe, avec Gogol en ce moment. Et j’ai relu Le Comte de Monte-Cristo, parce qu’un compositeur m’a demandé si l’œuvre était transposable à l’opéra. Je lui ai recommandé d’imaginer d’abord les quarante scènes, les quarante tableaux de l’œuvre. Ce sera long, il ne faudra pas simplement transposer le texte, mais le penser en opéra, avec des interactions entre les personnages.
Propos recueillis le 4 octobre 2024, à Nantes.