La mort de Gabriel Monnet

La disparition d’une haute figure de la décentralisation

La mort de Gabriel Monnet

Lors de l’émission « Mémoire du théâtre » série d’entretien réalisée pour l’INA, Gabriel Monnet qui aimait parfois à manier le paradoxe, affirmait à la fois détester et adorer le théâtre. Ce qu’il détestait était « ses accoutrements non seulement des formes mais aussi de la pensée, le faux jeu de la vie théâtrale ». Ce qu’il aimait était « Le jeu des relations entre les hommes, entre les mots ». J’ai, ajoutait-il, « un goût passionné pour ce qui est la relation, la fête, la parole juste. »

Le goût de la fête il le contracte au Cheylard, petit village de l’Ardèche, où il était né en 1921 et où on aimait fêter en musique la sainte Barbe et la sainte Cécile. C’est là également, à l’âge des culottes courtes, et sous la férule d’un père musicien qui le pousse sur les estrades des fêtes villageoises et lui inflige « les premières tortures des répétitions » que se forge son destin d’homme de plateau.
En 1941, enrôlé dans la « musique nationale » des « chantiers de jeunesse », il profite d’une permission pour rejoindre le maquis du Vercors où il organise des soirées musicales et poétiques pour ses camarades. Il Y rencontre Joffre Dumazedier, fondateur de Peuple et culture qui, après la guerre, le fait engager à Annecy comme instructeur d’art dramatique.

Là, il anime dans l’esprit de Dullin et Copeau, des stages de théâtre amateur, les Nuits Théâtrales d’Annecy où il réalise des spectacles notamment un Ubu Roi qui lui vaut d’être salué par Roland Barthes. C’est pour lui que Michel Vinaver, qui alors vit et travaille à Annecy, écrit Les Coréens . Nous sommes en 1956, un moment particulièrement sensible de la politique coloniale et la pièce est interdite. Tout aussitôt Gabriel Monnet démissionne et rejoint Jean Dasté à la Comédie de Saint-Etienne. Sur les conseils de ce dernier, en 1963, il se lance dans l’aventure de la Comédie de Bourges et de ce qui sera la première Maison de la culture inaugurée en présence du Général de Gaulle et de son ministre André Malraux.
Il ouvre la maison à tout ce dont, pour lui, se nourrit le théâtre : la musique et les arts plastiques, crée le festival du Théâtre des provinces, monte les œuvres du répertoire ( Shakespeare, Molière…) celles du théâtre contemporain, notamment Audiberti (Cœur à cuire) et fera connaître en France Arnold Wesker avec Racines que met en scène Edmond Tamiz.

Victime des « dommages collatéraux » de mai 68, il quitte Bourges pour Nice. En 1969 il y crée le Centre Dramatique qu’il inaugure avec une pièce d’Edward Bond La Route étroite vers le Grand nord, qui met en cause l’armée et la religion. Ce premier spectacle lui vaudra des démêlées avec Jacques Médecin, le maire d’alors et fera tempétueux son séjour niçois.

Nommé à Grenoble en 1974, il a vite fait de repérer une jeune troupe « Le Théâtre des partisans » qui s’est notamment fait remarquer par un Roi Lear qui rompt avec la bienséance théâtrale. Le chef de troupe s’appelle Georges Lavaudant. Il l’imposera comme codirecteur du Centre Dramatique des Alpes, avant de lui laisser la place en 1979, pour redevenir un acteur dans la troupe. Entre Gabriel Monnet et Georges Lavaudant l’amitié sera indéfectible et la veille de sa mort ils devaient se retrouver une fois encore pour un spectacle autour de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes. Un des derniers grands rôles de Gabriel Monnet, aura été un Puntila truculent et vif. A son image en somme.

Avec sa disparition on a le sentiment que le rideau tombe non seulement sur une certaine idée du théâtre public et populaire, mais aussi un certain esprit de résistance.

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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4 Messages

  • La mort de Gabriel Monnet 16 décembre 2010 17:41, par Laville pierre

    Merci, Dominique, pour ce bel article qui sonne profond dans cette époque vide... et les trois dernières lignes devraient être encadrées en tête de webtha...
    Amitié.

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  • La mort de Gabriel Monnet 18 décembre 2010 10:09, par Thierry Vermote

    Merci de ne pas oublier les valeurs qu’il a toujours défendu avec ferveur : le théâtre populaire au sens noble du terme. Merci de lui rendre cet hommage sobre et franc comme il savait l’être lui même.
    Merci aux instants de vie qui m’ont permis de croiser cet incroyable trublion, empêcheur de stagner en rond, véritable juste parmi les justes faiseurs de théâtre.
    Merci à toi Gaby pour tout ce que tu as pu mettre en nous de résistance à l’autocratie culturelle.

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  • La mort de Gabriel Monnet 19 décembre 2010 01:07, par Françoise Acezat

    Merci de rendre hommage à Gabriel Monnet. Cela me touche. Je l’ai connu pendant mon adolescence à Bourges au moment de la mise en route de la Maison de la Culture. Son énergie était fulgurante. Il n’avait pas son pareil pour réveiller les esprits morts. La ville a suivi et nous avec. Nous sommes restés (les jeunes autour de lui) tous marqués à vie par la découverte du plaisir de la parole et du geste. Une parole de résistance comme vous l’écrivez, c’est juste, mais ce dont je me souviens le plus, c’est sa passion si communicative pour une vérité tout simplement humaine. une vérité pouvant bouleverser des montagnes. Nous vivions du Gaby. Gaby jouant Timon d’Athènes ne s’oublie pas... Le théâtre était roi, la culture aussi. La voix de Jean Ferrat résonnait dans les murs... Merci Gaby.
    Mes pensées vont aussi à sa femme et à son fils s’ils sont toujours parmi nous.

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  • La mort de Gabriel Monnet 15 novembre 2012 10:16, par denis jansolin

    Je ne l’ai pas connu personnellement, mais je le connaissais depuis toujours parce que pour ceux qui s’intéressent à l’histoire du théâtre contemporain et de la décentralisation il en a été l’une des chevilles ouvrières si on peut dire.
    Personnage incontournable il a su à Grenoble particulièrement transmettre non seulement son amour et sa foi dans le théâtre "populaire" mais aussi lfaire leur place aux jeunes générations qui venaient et exprimer l’essentiel du pourquoi on fait du théâtre dans ce pays. Il reste un exemple de dignité et d’humilité au service d’une grande cause.Puisse son exemple servir de modèle à tous ceux prenant des responsabilités dans les institutions théâtrales en se disant qu’au delà des carrières il y a des missions de service public.

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