La mort de Gabriel Monnet
La disparition d’une haute figure de la décentralisation
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- 14 décembre 2010
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Lors de l’émission « Mémoire du théâtre » série d’entretien réalisée pour l’INA, Gabriel Monnet qui aimait parfois à manier le paradoxe, affirmait à la fois détester et adorer le théâtre. Ce qu’il détestait était « ses accoutrements non seulement des formes mais aussi de la pensée, le faux jeu de la vie théâtrale ». Ce qu’il aimait était « Le jeu des relations entre les hommes, entre les mots ». J’ai, ajoutait-il, « un goût passionné pour ce qui est la relation, la fête, la parole juste. »
Le goût de la fête il le contracte au Cheylard, petit village de l’Ardèche, où il était né en 1921 et où on aimait fêter en musique la sainte Barbe et la sainte Cécile. C’est là également, à l’âge des culottes courtes, et sous la férule d’un père musicien qui le pousse sur les estrades des fêtes villageoises et lui inflige « les premières tortures des répétitions » que se forge son destin d’homme de plateau.
En 1941, enrôlé dans la « musique nationale » des « chantiers de jeunesse », il profite d’une permission pour rejoindre le maquis du Vercors où il organise des soirées musicales et poétiques pour ses camarades. Il Y rencontre Joffre Dumazedier, fondateur de Peuple et culture qui, après la guerre, le fait engager à Annecy comme instructeur d’art dramatique.
Là, il anime dans l’esprit de Dullin et Copeau, des stages de théâtre amateur, les Nuits Théâtrales d’Annecy où il réalise des spectacles notamment un Ubu Roi qui lui vaut d’être salué par Roland Barthes. C’est pour lui que Michel Vinaver, qui alors vit et travaille à Annecy, écrit Les Coréens . Nous sommes en 1956, un moment particulièrement sensible de la politique coloniale et la pièce est interdite. Tout aussitôt Gabriel Monnet démissionne et rejoint Jean Dasté à la Comédie de Saint-Etienne. Sur les conseils de ce dernier, en 1963, il se lance dans l’aventure de la Comédie de Bourges et de ce qui sera la première Maison de la culture inaugurée en présence du Général de Gaulle et de son ministre André Malraux.
Il ouvre la maison à tout ce dont, pour lui, se nourrit le théâtre : la musique et les arts plastiques, crée le festival du Théâtre des provinces, monte les œuvres du répertoire ( Shakespeare, Molière…) celles du théâtre contemporain, notamment Audiberti (Cœur à cuire) et fera connaître en France Arnold Wesker avec Racines que met en scène Edmond Tamiz.
Victime des « dommages collatéraux » de mai 68, il quitte Bourges pour Nice. En 1969 il y crée le Centre Dramatique qu’il inaugure avec une pièce d’Edward Bond La Route étroite vers le Grand nord, qui met en cause l’armée et la religion. Ce premier spectacle lui vaudra des démêlées avec Jacques Médecin, le maire d’alors et fera tempétueux son séjour niçois.
Nommé à Grenoble en 1974, il a vite fait de repérer une jeune troupe « Le Théâtre des partisans » qui s’est notamment fait remarquer par un Roi Lear qui rompt avec la bienséance théâtrale. Le chef de troupe s’appelle Georges Lavaudant. Il l’imposera comme codirecteur du Centre Dramatique des Alpes, avant de lui laisser la place en 1979, pour redevenir un acteur dans la troupe. Entre Gabriel Monnet et Georges Lavaudant l’amitié sera indéfectible et la veille de sa mort ils devaient se retrouver une fois encore pour un spectacle autour de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes. Un des derniers grands rôles de Gabriel Monnet, aura été un Puntila truculent et vif. A son image en somme.
Avec sa disparition on a le sentiment que le rideau tombe non seulement sur une certaine idée du théâtre public et populaire, mais aussi un certain esprit de résistance.