La mort de Christian Biet

Un moderne dix-septiémiste

La mort de Christian Biet

Christian Biet n’ignorait rien de la tragédie. La tragédie antique et classique, la tragédie telle qu’elle s’est lovée dans nos cerveaux et dont l’être humain a fait de l’art, du chant, de la plainte et de la métaphysique. Mais c’est la tragédie quotidienne qui l’a frappé. Le 13 juillet, près de Poitiers, il est mort d’une chute de vélo. Grand personnage de l’université de Nanterre-Paris X, il avait terminé sa dernière saison de titulaire de la chaire de théâtre et d’esthétique et reçu l’hommage de ses pairs à l’orée de sa retraite. On sait que, pour un écrivain et un chercheur, la retraite, ça n’existe pas. Biet avait certainement de grands projets. C’est ainsi que notre monde culturel, nos bibliothèques de théâtre (et, au-delà, de l’histoire de la littérature, de la pensée, de formes) sont à jamais privées de ce que Biet n’a pu écrire et qui aurait été passionnant, comme les ouvrages qu’il a pu écrire au cours d’une existence à l’activité très intense. Cette vie s’est arrêtée net, au moment où tant de savoir, non pas accumulé comme l’on dit trop vite mais brassé, régénéré, bousculé, débouche sur de nouvelles perspectives et de nouvelles lumières.
Ses travaux de savant, comme auteur en solitaire, travailleur en cellule collective, éditeur, responsable de revue (il prit une part très importante à la renaissance de Théâtre public dont Bernard Sobel cherchait le second souffle à partir de 2008) et de colloques. Mais, pour l’amateur de théâtre, sa façon très puissante d’éclairer l’Histoire et les avatars de l’écriture scénique est davantage perceptible et mémorable dans son premier grand essai, Les Miroirs du Soleil, consacré aux artistes proches de Louis XIV, ses biographies de Racine et de Corneille, ses deux anthologies sur le théâtre horrifique et sanguinolent qui régnait au XVIe et au XVIIe siècle et qui avait été entièrement oublié, et ce gros ouvrage écrit avec Christophe Triau, Qu’est-ce que le théâtre ?, qui vise à examiner dans sa totalités les composantes du spectacle dramatique, lecteurs et spectateurs compris. Sa curiosité pour les domaines juridiques et économiques, pour des esthétiques non-européennes compte évidemment beaucoup dans sa manière de repenser un univers qui est, pourtant, essentiellement français. Il était l’un des maîtres, avec Georges Forestier, de cette recherche qui déplace les lignes en modifiant les images figées, inchangées depuis des générations.
Les universitaires d’aujourd’hui vivent plus dans la réalité artistique qu’autrefois. Ils ne sont plus confinés dans leur cabinet. Christian Biet, plus que beaucoup d’autres, respirait le théâtre dans les salles, les coulisses, les lieux de débats. Il avait des relations étroitement nouées avec des écrivains et des metteurs en scène. C’était un spectateur gourmand qu’on apercevait souvent dans les salles du subventionné. Il avait créé une unité « Représentation » à Nanterre où il disposait d’une salle de théâtre, ne concevant la théorie sans la pratique. C’était un homme bienveillant, attentif, au sourire affectueux. Le plaisir était grand de l’interviewer. Sur l’un de ses auteurs fétiches, Corneille, par exemple, tel fut un moment de notre dialogue : « - Vous pensez comme le prétendent certains depuis Pierre Louÿs que Molière a écrit les pièces de Corneille ? - Cela ne tient pas debout. Ces deux personnages étaient si différents : Corneille était chrétien et Molière athée ».

Ses principaux livres (d’après le site Fabula) :
 Les Miroirs du Soleil (Découvertes Gallimard, 1989 et 2000).
 Œdipe en monarchie, tragédie et théorie juridique à l’Âge classique (Klincksieck, 1994).
 Racine ou le Passion des larmes (Hachette, 1996).
 La Tragédie (Armand Colin, 1997 : rééd. 2010).
 Henri IV, la vie, la légende (Larouse, 2000).
 Cartouche et les voleurs de Legrand (Lampasque, 2003).
 Qu’est-ce que le théâtre ? (Gallimard, Folio Essais, 2006 ; avec Christophe Triau).
 Moi, Pierre Corneille (Découvertes, Gallimard, 2006).
 La Question du répertoire au théâtre (Littératures classiques, n° 95/2018).
 Théâtre de la cruauté et récits sanglants. En France (XVIe-XVIIe siècle) (R. Laffont, 2006).
 Tragédies et récits de martyres en France (fin XVIe - début XVIIe siècle), avec Marie-Madeleine Fragonard (Classiques Garnier, 2009).

Photo DR.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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