La Mouette, Anton Tchekhov

Un cri dans la nuit

La Mouette, Anton Tchekhov

Il est une critique que l’on ne peut faire à Thomas Ostermeier c’est l’absence de point de vue. Sa mise en scène de La Mouette se structure clairement autour des thèmes de l’art et de l’amour mais il inscrit explicitement la pièce dans le cadre de l’engagement social de Tchekhov comme en témoigne l’exergue au spectacle projeté : « Mon œuvre entière est imprégnée du voyage à Sakhaline. Quand on est allé en en enfer, on voit le monde et les hommes d’un autre regard ».

Il est donc question d’art avec le jeune Konstantin Treplev qui brûle de faire reconnaître son théâtre tellement d’avant-garde qu’il en est abscons et surtout qui souffre du manque de reconnaissance de sa mère, Irina, ancienne comédienne aigrie en perpétuelle crise de nerfs qui l’étouffe de sa personnalité écrasante (formidable et inattendue Valérie Dréville, drôle et pathétique, parfois un peu excessive dans ses accès de fureur). Approche inhabituelle et pertinente, Ostermeier accorde toute sa place au jeune homme et à sa relation avec sa mère, symbole du conflit artistique entre tradition et création. Souvent représenté comme une ombre, un être falot et fragile, Konstantin acquiert complexité et profondeur grâce à la belle interprétation de Matthieu Sampeur. D’art il est question aussi avec l’écrivain raté Trigorine (François Loriquet), amant d’Irina qui séduira et abandonnera Nina, personnalité délicate et diaphane, faite de l’étoffe de ses rêves de théâtre et de gloire dont elle déchantera, interprétée par Mélodie Richard qui pousse son personnage au bord de la dissolution. La dernière scène murmurée (trop ?) entre Nina et Konstantin est toute de sensibilité vibrante. Il n’est question dans cette pièce que de destins brisés et d’amour impossible. Désespérée, Macha (excellente Bénédicte Cerutti), triste et sombre, amoureuse de Konstantin, se résout à épouser l’instituteur qui n’attend rien de la vie. Il en va de même pour tous, plus ou moins broyés par la vie, à l’exception du médecin Dorn (excellent Sébastien Pouderoux). Les costumes de Nina Wetzel traduisent les états d’âme des personnages, telle la robe noire de Macha, en deuil de sa vie ou la robe couleur chair de Nina, comme une mise à nue intérieure.

Tant qu’on est chez Tchekhov, tout va bien, mais cela se gâte quand Ostermeier et Olivier Cadiot, dont la traduction de la pièce n’est pas à la hauteur de son grand talent d’écrivain, lancent dans un faux débat sur la création artistique qui tourne en dérision (autodérision au mieux) des pratiques actuelles, dans des commentaires sur notre actualité (la question des migrants syriens) censés faire écho à Tchekhov et à son ancrage dans le monde. La mise en scène est dévaluée par des facilités qui frisent la démagogie (que vient faire ici le 49.3 ?), parfois fruits d’improvisations qui auraient dû le rester. On se serait très bien passé de la musique électro et des chansons anglaises (Rock’n roll suicide au début pour annoncer le suicide de Konstantin…). Par ses choix éclectiques, Ostermeier semble vouloir faire écho au conflit artistique exprimé dans la pièce, objectif un peu vain.

Si certains aspects agacent, les mises en scène d’Ostermeier sont toujours d’une intelligence aiguë, parfois très inspirées comme cette belle idée du grand dessin façon encre de chine que trace la peintre Marine Dillard du bout d’une longue perche. Au début rien ne se dessine, peut-être l’esquisse d’une mouette tuée par Konstantin, symbole de la vie brisée en plein vol par l’inconséquent « chasseur » Trigorine ; peu à peu surgissent sur l’immense toile blanche le lac et le paysage derrière la maison. A la tombée de la nuit, quand le drame plane, l’estampe s’abime sous une couche de peinture noire.

La Mouette, Anton Tchekhov, traduction Olivier Cadiot ; mise en scène Thomas Ostermeier ; scénographie, Jan Pappelbaum ; costumes, Nina Wetzel ; lumières, Marie-Christine Soma ; peinture, Katharina Ziemke. Avec Bénédicte Cerutti, Valérie Dréville, Cédric Eeckhout, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Matthieu Sampeur, Marine Dillard. Au théâtre de l’Odéon jusqu’au 25 juin 2016 à 20h. Durée : 2h30. Résa : 01 44 85 40 40.
www.theatre-odeon.eu

© Jean-Louis Fernandez/Arno Declair

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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