La Flûte enchantée de Mozart à l’Opéra Bastille
La Flûte incarnée
La reprise de l’opéra de Mozart selon Robert Carsen donne la parole à des personnages vivants et non pas à des allégories.
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- 6 novembre
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TOUT A ÉTÉ DIT SUR LES INTENTIONS maçonniques de la musique et du livret de La Flûte enchantée, et bien des choses encore pourraient être dites à leur propos. C’est le signe, évidemment, que le dernier opéra de Mozart ne livrera jamais ses secrets. Voilà en tout cas le sentiment que donne la mise en scène de Robert Carsen, qu’on a pu voir il y a dix ans à l’Opéra Bastille et qui est reprise cet automne avec une nouvelle distribution. Carsen ne prétend pas nous donner la clef de cet opéra qui est à la fois un conte et un récit d’initiation, il s’attarde sur un point que peu de metteurs en scène ont abordé avant lui : le conflit de la vie et de la mort, plutôt que celui du bien et du mal. D’où cette tombe, dès la première scène, d’où émerge Tamino fuyant le serpent, d’où Monostatos en chef des fossoyeurs, d’où cette Papagena non pas vieille (avant qu’elle apparaisse dans toute sa jeunesse) mais au visage réduit à l’état de squelette. La Reine de la nuit et les Dames sont habillées de noir (leurs robes sont fort élégantes) et recouvertes d’un voile de deuil, mais à la fin c’est le blanc qui triomphe et les forces du mal, tout de blanc vêtues elles aussi, sont associées à ce triomphe. Et c’est Pamina elle-même qui permet à Monostatos de quitter sa condition et de participer à la liesse générale.
Cette mise en scène séduisante et fort bien éclairée n’est cependant pas la plus réussie de Robert Carsen, qui par exemple semble ne pas savoir quoi faire de la flûte et du glockenspiel (en réalité, ici, une espèce de vibraphone assez encombrant) qu’il met dans les mains de Tamino et de Papageno. Mais la direction d’acteurs est vivre, le faux suicide de Papageno est un réel moment d’émotion, et on pardonnera aussi à Robert Carsen d’avoir cédé à la facilité des vidéos : le visage géant de Pamina n’ajoute vraiment rien au spectacle, voire le banalise.
De beaux fruits
La distribution réunie à l’occasion de cette reprise ne mérite en revanche que des éloges. Pour la raison, d’abord, qu’elle est faite de voix inhabituellement charnues. La Reine de la nuit d’Aleksandra Olczyk est tout sauf une boîte à musique exemplairement réglée, et rend justice à la conception du metteur en scène qui ne voit pas en elle un simple archétype. Pamina, de même, a le timbre fruité de Nikola Hillebrand et, loin des sopranos trop transparentes auxquelles est parfois distribué le rôle, nous convainc autant qu’une Sandrine Piau, malgré tout ce qui peut séparer ces deux interprètes. Mikhail Timoshenko est un Papageno joueur comme il se doit, à la voix peu volumineuse, mais riche d’une discrète mélancolie qui le sauve lui aussi de toute caricature. On aime la vivacité des trois Dames (Margarita Polonskaya, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur et Claudia Huckle), la présence de l’Orateur (Nicolas Cavallier), les facéties de Papagena (Ilanah Lobel-Torres) et surtout ce mélange de fausse méchanceté, de détresse et d’affolement (devant la beauté de Pamina, devant l’inaccessible Sagesse, devant l’autorité de Sarastro) qu’exprime Mathias Vidal en Monostatos. Le magnifique Jean Teitgen a l’autorité magnanime qui convient à Sarastro, enfin Pavol Breslik n’étonne pas en Tamino par la chaleur de son timbre et la noblesse de son phrasé.
Il faut aussi saluer la qualité des chœurs et surtout de l’orchestre, placé sous la direction énergique et nuancée d’Oksana Lyniv. Après un tout début d’ouverture un peu pâlot, très vite la musique prend ses couleurs et Oksana Lyniv réussit l’exploit d’obtenir des instruments, dans un Opéra Bastille pourtant surdimensionné, un son à la fois doux et présent, et à l’ensemble de l’orchestre une tension discrète, constamment maintenue grâce à de discrets crescendos et à des accents qui mènent jusqu’à la fin le discours musical. Une Flûte enchantée qui vit et qui respire, c’est toujours un bonheur.
Illustration : Mikhail Timoshenko (Papageno), Nikola Hillebrand (Pamina). Photo : Charles Duprat/OnP
Mozart : Die Zauberflöte (La Flûte enchantée). Avec Pavol Breslik (Tamino), Mikhail Timoshenko (Papageno), Nikola Hillebrand (Pamina), Aleksandra Olczyk (La Reine de la nuit), Jean Teitgen (Sarastro), Nicolas Cavallier (L’Orateur), Ilanah Lobel-Torres (Papagena), Margarita Polonskaya, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Claudia Huckle (les trois Dames), Mathias Vidal (Monostatos), Simon Engel, Christian Müller, Phillip Rah (les trois Garçons), Niel Anderson et Nichola Jones (les deux Prêtres, les deux Hommes d’armes). Mise en scène : Robert Carsen ; décors : Michael Levine ; costumes : Petra Reinhardt ; lumières : Robert Carsen, Peter Van Praet ; vidéo : Martin Eidenberger. Chœurs (dir. Alessandro di Stefano) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Oksana Lyniv. Opéra Bastille, 5 novembre 2024. Représentations suivantes : 7, 9, 12, 15, 17, 19, 21 et 23 novembre.