La Douleur de Duras par Chéreau, Tieû Niang et Dominique Blanc.

Une longue traversée des ombres avant d’atteindre la lumière de la vie.

La Douleur de Duras par Chéreau, Tieû Niang et Dominique Blanc.

La Douleur - adaptation par Marguerite Duras de son propre texte de 1985 et création scénique de Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang en 2008, avec la sublime Dominique Blanc - renaît quatorze ans plus tard, alors que le metteur en scène emblématique nous quittait en 2013 et que Dominique Blanc entrait à la Comédie-Française en 2016. La création est ainsi reprise, sous l’oeil de Thierry Thieû Niang et la vigilance du jeu de l’actrice qui, avec le passage du temps, a comme intériorisé la parole significative de Duras, gagnant en liberté et aisance naturelles, en sentiment.

Par-delà la description du chaos du temps - « la Résistance, la Libération, les camps, cette période impensable et qu’on a oubliée »( Chéreau) -, ou de celle des soldats retrouvant leur foyer, le texte interroge l’incassable fragilité de l’espoir et les modulations du sentiment amoureux. « Période impensable qu’on a oubliée », et qui se représente à nous violemment avec l’actualité ukrainienne.

Thierry Thieû Niang raconte : Une table, des chaises, trouvées sur place dans chaque ville…Dominique Blanc est seule en scène dans ce face-à-face avec la vie, avec le texte, avec l’Histoire. Au fil des ans, la comédienne a emmené le spectacle partout en France, en Europe, et jusqu’au bout du monde. Du mont Fuji au Japon au théâtre Dramaten de Bergman à Stockholm, de Porto Alegre au Brésil jusqu’au Vietnam, l’Indochine de Marguerite.

Une résurrection artistique d’un monologue terrible, La Douleur, « une des choses les plus importantes de ma vie », indiquait Marguerite Duras. Le récit autobiographique suit l’auteure sur un parcours de souffrance psychologique et morale, chemin de croix improbable miné par l’attente, entre espoir et désespoir. A Paris, en 1945, seule, allant et venant à la Gare d’Orsay, elle tente de savoir en vain ce qu’est devenu son mari, l’écrivain et résistant Robert Antelme, alias Robert L.

La narratrice est une figure errante dans l’appartement de la Rue Saint-Benoît, rivée à son téléphone, cheminant rue du Bac, de la Gare d’Orsay à l’Hôtel Lutetia, où sont accueillis les prisonniers et les déportés. L’affliction varie de l’amertume à l’angoisse irritée. Elle « voit » l’aimé renversé dans un fossé, au bord d’une route, sous la pluie, le soleil, la nuit, ne pouvant l’atteindre.

Celui auquel elle ne peut tendre, ne serait-ce qu’un morceau de pain, lui apparaît, de longues semaines, durant le mois de mai et jusqu’en juin : il est son Dormeur du val, cadavre mort dans un fossé, trou noir, bouche et mains ouvertes, une balle dans la nuque. Marguerite s’associe à la douleur de la concierge de son immeuble qui attend son mari, de la même façon insupportable - l’attente des femmes scrutant l’horizon et qui attendent le retour de leur guerrier éloigné du foyer.

Puis, d’un coup, l’inespéré surgit : l’appel de François Morland (François Mitterrand) du même réseau de Résistance : « Robert est vivant, plus mort que vivant ». S’enclenche depuis la détresse, une lente remontée vers la lumière pour la survie de celui qui n’est plus qu’une ombre.

« Robert L. n’a accusé personne, aucune race, aucun peuple, il a accusé l’homme », rapporte l’auteure qui condamne tous les gouvernements de passage dans l’histoire des peuples.

Et l’enfer du crime nazi contre les juifs et les résistants n’en finit pas de faire un écho amer et âcre à la guerre exactement contemporaine de nos temps actuels, celle de la Russie contre l’Ukraine.

Bienveillance et réconfort, l’humanité de la comédienne se hisse à hauteur de la lumière et l’espoir.

La Douleur, texte de Marguerite Duras, mise en scène de Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang, Création et régie lumières Gilles Bottachiu. Avec Dominique Blanc, sociétaire de la Comédie-Française. Du 23 novembre au 11 décembre 2022 à 20h, dimanche à 16h à L’Athénée Théâtre Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet 75009 - Paris. Tél : 01 53 05 19 19 www.athenee-theatre.com Du 13 au 18 décembre, Théâtre des Bernardines, Marseille. Le 23 mai 2023, Maison des Arts, Thonon-les-Bains. Le 25mai, Le Mail, Soissons. Les 30 et 31 mai à La Coursive, La Rochelle. Les 2 et 3 juin, Théâtre National de Nice. Du 6 au 8 juin, MC2, Grenoble. Le 13 juin, Anjou Festival, Angers.
Crédit photo : Ros Ribas

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Véronique Hotte

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