La Demande d’emploi de Michel Vinaver

Un cadre au chômage

La Demande d'emploi de Michel Vinaver

On sait que Michel Vinaver change certaines règles du jeu théâtral (c’est ce qui fait qu’il est l’un de nos grands auteurs) : plusieurs actions peuvent avoir lieu simultanément (qui peuvent se situer à différents moments du temps), l’action ne se conclut pas et ne livre pas ses vérités de façon univoque, laissant au spectateur une pluralité de pistes à examiner. La Demande d’emploi tourne autour d’un entretien d’embauche. Un cadre, ex-directeur de ventes, a été licencié et postule pour un emploi important. Il est assez sûr de lui, il a fait du bon boulot et il peut encore appliquer et renouveler sa méthode dans une autre entreprise. En face de lui, le représentant de la société commerciale pose des questions professionnelles et intimes avec une politesse exquise : il est courtois et féroce, avec les armes du business et de la psychologie quadrillée des DRH. C’est le noyau de la pièce. Mais, autour, a lieu la vie familiale : d’une part, se joue la relation entre le cadre et et son épouse ; d’autre part, leur fille, qui habite dans leur cocon, se tient dans une forme de distance ou de semi-rupture avec ses parents ; elle est dans l’effervescence libératrice de l’après-68 et attend un enfant qu’elle voudrait garder alors que son père est partisan d’un avortement. Vinaver résume lui-même ainsi ces inter-actions et ces chocs où tout est peu à peu oppressant : « Dans cette pièce il n’y a pas antagonisme d’un individu et d’un système ; il y a au contraire un pacte indéfectible entre les deux. L’individu ne peut pas sortir du système. Par contre il se peut qu’il se disloque. Comme si l’éventuel salut de Fage (le cadre au chômage) passait par une nécessaire catastrophe ».
Le décor de Nicolas Sire – chaises, éléments de bureau et de chambre, panneaux blancs – est minimal et froid. C’est ce qui convient. Dans ce cadre, René Loyon dirige un minutieux ballet. Les gestes et les répliques se jouent à la seconde près. Les scènes s’enchaînent vite, se superposent presque. C’est une mise en place nerveuse de facettes dont l’addition mathématique révèle une humanité prise dans un piège qui est le monde économique d’aujourd’hui. Pourtant, la pièce est de 1971. Mais Vinaver, ex-directeur d’entreprise, avait tout compris. Julien Muller compose un chef des ventes qu’on pourrait apparenter au « commis-voyageur » d’Arthur Miller mais le jeu est différent, puisqu’il faut allier la pâte humaine et le tracé abstrait des déplacements dans l’espace et le temps. Muller est d’une grande vérité. Pierre-François Garel sait être étrange, complexe, énigmatique, moderne dans le rôle du recruteur. Valentine Galey crée une jeune fille indépendante aussi inventive que le milieu bourgeois où son personnage évolue est privé d’évolution. Enfin Olivia Kryger éclaire de nuances la figure effacée de l’épouse. Avec eux, Loyon réussit un spectacle tout à fait vinavérien qui dessine sans désigner.

La Demande d’emploi de Michel Vinaver, mise en scène de René Loyon, dramaturgie de Laurence Campet, décor de Nicolas Sire, costumes de Nathalie Martella, lumières de Laurent Castaingt, avec Valentine Galey, Pierre-François Garel, Olivia Kryger, Julien Muller.

Théâtre de l’Epée de bois, cartoucherie de Vincennes, tél. : 01 48 08 39 74, jusqu’au 18 octobre. (Durée : 1 h 40).

Photo Lot.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook