Critique/Opéra Classique

LE BARBIER DE SEVILLE de Gioacchino Rossini

Au galop pour en rire !

 LE BARBIER DE SEVILLE de Gioacchino Rossini

L’orchestre est en place, le chef lui fait face, tout est prêt. Un policier parcourt l’avant-scène brandissant une pancarte de sens interdit avec un téléphone portable barré. Il s’arrête, rédige une contravention et la lance sur un spectateur. Eclat de rires dans la salle. Le ton est donné. Ce Barbier de Séville aura un goût de farce.

A l’opposé de la précédente production de l’Opéra National de Paris, celle, politique et féministe, que Coline Serreau signa en 2002 transposant Séville à Kaboul, et qui, en une demi-douzaine de reprises, avait pris une patine de déjà-vu.

Importé du Grand Théâtre de Genève où il fut créé en 2010, le nouveau Barbier tourne au triple galop que lui insuffle son metteur en scène italien Damiano Michieletto. Homme de théâtre et de musique réputé dans son pays et hors frontières (notamment à Salzbourg), nourri des traditions de la commedia dell’arte, il en porte les ombres sur les personnages que Rossini puisa dans la comédie éponyme de Beaumarchais. Sans sous-entendus ni recherche psycho machin chose autre que celle du plaisir, et la musique virevoltante de Rossini, ses airs virtuoses qui depuis longtemps sont ancrés dans les oreilles, s’y prête allègrement.

Michieletto jette les personnages sur les pavés d’un quartier populaire, Séville, Naples ou derrière les Ramblas de Barcelone, qu’importe ! Les façades des immeubles sont d’un ocre décrépi et le linge sèche devant les fenêtres. Côté jardin, un bistrot à snacks affiche ses spécialités, côté cour, quelques chaises accueillent les épieurs de passants. Au centre se dresse le vaste domaine de Bartolo qui tourne, tourne, tourne sur lui-même, dévoilant en mouvement quasi continu ses escaliers en spirales, ses étages, ses chambres, cuisines, salles d’eau et ses intimités avec Rosina, la jeune pupille que le vieil homme tient enfermée pour pouvoir l’épouser.
Antennes paraboliques, postes de télé, voiture, motos et incontournable téléphone portable, la farandole de quiproquos se veut d’aujourd’hui et de toujours.

Sans pause, ni répit

Tout bouge sans pause ni répit et partout à la fois. Les trépidations incessantes dominent au détriment parfois des actions centrales. On ne détourne pas impunément quelques lois fondamentales du théâtre qu’il soit parlé ou musical. Des gags de pur vaudeville se heurtent ici ou là à d’inutiles fantaisies comme cette fausse fanfare maladroitement mimée par les choristes et sans lien avec les instruments de la musique qui monte de la fosse.

Direction d’acteurs tirée au cordeau, trépidante, frénétique. Les chanteurs s’y prêtent en acrobates des sons et des mouvements. Deux d’entre eux connaissent leurs personnages de A à Z pour les avoir habités de multiples fois. A commencer par celui qui tient le rôle-titre considéré comme « le » Figaro de la dernière décennie, Dalibor Jenis, baryton slovaque, qui avait même assuré le rôle en 2002 dans la production de Coline Serreau. Il ne joue pas Figaro, il est Figaro, un Figaro de bande dessinée, voyou mafieux, cavaleur, manipulateur, jouant (fort bien) de la guitare et de son timbre un rien défraîchi mais constamment convainquant.

Karine Deshayes fut la Rosina des trois dernières reprises de la même production Serreau. Moins enflammée de revendications, plus rondelette, midinette des faubourgs amoureuse des stars de cinoche, la voix toujours alerte et souple et le jeu mutin. René Barbera, l’homme de son cœur, Almaviva alias Lindoro, le comte qui se fait passer pour un prolo afin de tester les sentiments de sa belle, dote son héros d’une bonhomie souriante et dompte du mieux qu’il peut les aigus voltigeurs-ravageurs de Rossini. L’excellent Carlo Lepore est un Bartolo grand seigneur et petit jaloux, un aristo égaré dans le populo, avec ses graves cuivrés et ses mines déconfites de trop jeune vieillard. Si le Basilio de Orlin Anastassov ne fait qu’effleurer le grand air de la calomnie par un timbre usé et sans relief, Berta, servante de Rosina, trouve en Cornelia Oncioiu l’incarnation inattendue d’une nymphomane fofolle dont les poils se hérissent à la vue du premier jeune mâle venu.

Carlo Montanaro, pour la première dans la fosse de l’Opéra National de Paris, emmène tout ce charivari dans une joyeuse sarabande de couleurs, dansantes, légères et toujours précises.

En bref, ce un Barbier-là est taillé pour en rire et rien de plus. En ces temps de crise, c’est reposant.

Le Barbier de Séville de Gioacchino Rossini, livret de Cesare Sterbini d’après la comédie de Beaumarchais, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Carlo Montanaro, chef de chœur José Luis Basso, mise en scène Damiano Michieletto, décors Paolo Fantin, costumes Sylvia Aymonino, lumières Fabio Barettin. Avec René Barbera (et Edgardo Rocha, en deuxième distribution *), Carlo Lepore (et Paolo Bordogna*) , Karine Deshayes (et Marina Comparato*), Dalibor Jenis (et Florian Sempey*), Orlin Anastassov (et Cigni*), Tiago Matos, Cornelia Oncioiu, Lucio Prete .

Opéra Bastilles, les 19, 23, 25, 29 septembre, 1er & 4 octobre à 19h30, le 28 septembre à 14h30 et pour la deuxième distribution *, les 14, 15, 20, 23, 28, 30 octobre et 3 novembre à 19h30.

08 92 89 90 90- + 33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Bernard Coutant

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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