La Falaise des lendemains de Jean-Marie Machado à Nantes puis à Angers à partir du 26 février

« L’opéra est du cinéma, en chair et en os »

Jean-Marie Machado, connu pour ses compositions de jazz, présente La Falaise des lendemains, une pièce en trois langues aux influences complexes. Webtheatre l’a rencontré, avec Jean Lacornerie qui signe la mise en scène.

« L'opéra est du cinéma, en chair et en os »

Jean-Marie Machado, vous êtes connu comme un homme du jazz, pourquoi un opéra ?
JMM : Ce n’est pas très commun dans l’univers des jazz de faire un opéra. Le propre de mon orchestre a toujours été de composer avec des origines, des personnalités, des influences différentes. Je ne conçois pas une vie consacrée à un seul genre musical, je considère plutôt que je fais du collage pour fabriquer un nouveau langage, ma musique ressemble à ça !

Avec La Falaise des lendemains, opéra aux influences bretonnes, dans quel univers nous plongez-vous ?
JL : Ça se passe à Roscoff et sur l’île de Guernesey, avant, pendant et après la Guerre de 1914, sur une période assez longue. L’univers du conte va bien avec cette histoire, une légende bretonne, celle de la fée Morgane. Les personnages incarnent les grandes figures connues de l’opéra : l’amour, la passion, la violence, la jalousie… On retrouve la langue bretonne parce que le breton est la langue des dockers sur le port, et l’anglais, la langue du marionnettiste, Chris. La Guerre est à comprendre comme un événement cataclysmique, un sujet intemporel, que l’on reconnaît tous.
JMM : C’est un thème assez classique de l’opéra que j’ai voulu amener sous un autre angle, tant onirique que mystérieux, une sorte de rêverie… C’est une sorte de Roméo et Juliette, années 30.

À quoi cette musique ressemblera-t-elle ?
JMM : Il y a une chose fondamentale dans cette musique, c’est la notion de danse, de pulsation, le battement du cœur, le vivant. C’est une musique charnelle, dans le rythme, avec un soin apporté à la mélodie, beaucoup de lyrisme, une musique hybride qui se balade entre la musique classique, ethnique et jazz, avec des incursions de musique celtique à ma manière, retravaillée, non frontale. Ce ne sera pas un fest noz, mais on y trouve des influences celtiques.
JL : Les rôles ont aussi été distribués à des voix d’origines différentes : lyrique, comédie musicale, jazz, musique traditionnelle. C’est une famille recomposée en quelque sorte !

Comment garantir alors une cohérence entre ces influences, ces voix d’univers différents ?
JMM : Ça s’appelle la prise de risque, à laquelle je tiens depuis toujours. J’ai tenu à faire les auditions des chanteurs avec Jean Lacornerie, nous cherchions autant des musiciens que des acteurs. Autour de nous, tous ont des débits, des attitudes, des voix bigarrées. Je fais de la musique avec cette diversité. On n’est pas une institution qui doit respecter le type de voix d’une époque. C’est une musique d’aujourd’hui, faussement temporelle, sans pour autant être de la musique expérimentale. C’est aussi l’esprit du « jazz diskan opéra ». Diskan veut dire « contre-chant » en breton, c’est l’ajout d’une autre musique, d’autres influences pour former un tout.

Y voyez-vous une manière de convier un public nouveau à l’opéra ?
JL : Si notre public ne vient pas souvent à l’opéra, il aura la voix pour entrer, mais aussi le théâtre, ou la capacité de Danzas à créer des paysages sonores, des atmosphères. C’est une musique très visuelle, qui crée des images dans la tête du spectateur. C’est pour cette raison que nous avons choisi de mettre l’orchestre sur le plateau, à vue. Le public doit voir la musique se faire, il faut provoquer son imagination. L’opéra est du cinéma vivant, en chair et en os.
JMM : Dans des pièces classiques très connues, on vient prendre du plaisir à retrouver quelque chose que l’on connaît, avec éventuellement des surprises sur la mise en scène, mais on connaît la musique, l’ambiance… Dans la création, on a de la surprise à tous les étages. Il faut que le public vienne chercher de vraies émotions.

Quelles sont les raisons qui vous ont amenés à travailler à cette Falaise des lendemains ?
JMM : Nous partageons avec Alain Surrans un lien humain et musical très ancien. Nous avons estimé que le moment était venu de tenter cette aventure opératique J’avais travaillé avec mon orchestre Danzas sur Le Bel Indifférent de Cocteau, une sorte de mini-opéra, j’ai voulu emmener mes musiciens encore au-delà. C’était un projet partagé avec Tourcoing, la MAC de Créteil, l’Opéra de Rennes, auquel nous avons réfléchi avec Jean Lacornerie et son équipe pour la mise en scène. Je laisse toujours la place dans mes projets pour les compétences que je n’ai pas.
JL : Cela fait longtemps aussi que je connais Alain Surrans, avec qui j’avais travaillé à Rennes et plus récemment avec La Chauve-Souris [voir compte-rendu WT] l’année dernière. Et j’avais travaillé avec Jean-Marie Machado à la Croix-Rousse à Lyon pour son spectacle sur Bobby Lapointe.

La mise en scène d’une pièce écrite par un compositeur vivant rend-elle la tâche plus difficile ?
JL : Non, au contraire, on peut discuter, adapter, incarner la partition, en favoriser l’écoute, la rendre visible. Il faut dessiner les gestes dans une durée ; si l’action doit durer deux minutes, il faut que j’adapte la mise en scène à ces deux minutes… On compte beaucoup les temps, la phrase musicale est une chorégraphie !
JMM : J’ai passé commande à Jean-Jacques Fdida, le librettiste, et je l’ai guidé vers là où je voulais aller. Puis nous avons beaucoup échangé avec Jean, il nous fallait croiser nos exigences musicales et théâtrales pour porter ce texte devant un public. Je reste persuadé que le compositeur doit rester à l’écoute des avis. On ne peut pas tout changer bien sûr, mais les contributions de tous sont entendues, on fait des ajustements quand on en a besoin.

Votre opéra est écrit en français, anglais et breton. Écrit-on différemment la musique suivant la langue ?
JMM : Avant de mettre en chant, je lis le texte : il faut qu’il m’interpelle, que j’entende phonétiquement sa musicalité. Je vais alors au piano, j’écris la musique, c’est ce que j’ai fait pour la Falaise. Le texte est le pilier de l’histoire, je le laisse parler. Je fais des séquences assez courtes avec le breton, car je ne le comprends pas. Les versions sont jolies, et apportent beaucoup de fluidité. Je me suis parfois retenu de prendre les mots les plus compliqués dans la musique, ce sont des mots parlés.

Un opéra après tant de compositions… Doit-on y voir votre grand œuvre ?
JMM : Je n’en suis pas encore au requiem, ne vous inquiétez pas ! Ce n’est pas courant d’arriver avec son propre orchestre, et de ne jouer que des œuvres nouvelles depuis 2007. Ils sont prêts à toutes les entourloupes, à faire un chemin vers une musique, vers une autre. C’est un point culminant pour cet orchestre, et j’ai choisi l’opéra pour les emmener un peu plus loin.

Propos recueillis le 18 octobre 2024 à Nantes.
Crédits photo : Cécil Mathieu

La Falaise des lendemains, Angers Nantes Opéra.
À Nantes, les 26, 27 et 28 février 2025, le 1er mars 2025 ; à Angers, le 24 avril 2025.
Réservations : https://www.angers-nantes-opera.com/la-falaise-des-lendemains

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Quentin Laurens

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