L’Heureux Stratagème de Marivaux

Le quadrille des amants

L'Heureux Stratagème de Marivaux

L’esprit de Marivaux est-il celui des années folles ou des années 30 ? C’est sur cette idée que Ladislas Chollat, très inventif en ce début de saison (voir notre critique de La Souricière à la Pépinière Théâtre), a construit sa mise en scène de L’Heureux Stratagème. Il a donc décalé l’action de deux cents ans et vêtu de smokings lustrés et de robes en lamé les aristos en quête de succès amoureux. Le fringant Dorante est malheureux comme les pierres depuis qu’il a vu la comtesse qu’il aime se laisser séduire par un chevalier gascon au verbe trop haut. La marquise dont le cœur battrait plutôt la chamade pour ce nouveau venu ne goûte pas cette liaison qui la prive d’une aventure à portée de main. Elle prend en conséquence les choses en main, propose à Dorante de simuler le parfait amour avec elle pour pousser à bout ces amants qui roucoulent en oubliant leurs engagements. Le stratagème fonctionne. Les tourtereaux infidèles ne voient pas d’un bon œil cette formation de couple concurrente. Les domestiques qui ont leurs propres espérances amoureuses tirent dans un sens et dans un autre, mêlent leurs états d’âme à ceux de leurs maîtres… Tout cela finira bien, mais pas tout à fait pour tout le monde, Marivaux ne chantait pas tout à fait la vie en rose…
Dans un grand décor de maison ouverte sur la campagne, surplombé par un miroir qui amplifie le vertige du quadrille, Chollat joue du plan et de l’arrière-plan, à la fois dans les déplacements entre les premiers fauteuils de la salle et le lointain, et dans le jeu demandé aux interprètes, à la fois franchement comique et profondément humain. Ce qui est mis à nu et à vif, ce qui est essentiel, c’est la contradiction entre le jeu social qui a sa part de morgue et la sincérité qui finit par exploser. Cela concerne moins Dorante joué par Eric Elmosnino qui renonce là à son registre de conquérant et compose en grand bouffon vrai un amant abattu et égaré par la tristesse. Mais cette dualité donne sa richesse au jeu de Sylvie Testud, épatante comtesse convulsive, sachant utiliser la même intensité en passant d’un premier état d’âme à une attitude totalement opposée, et à Suzanne Clément, actrice québécoise que l’on n’avait jamais vue sur nos scènes et qui fait preuve d’une impressionnante autorité sensible. Jérôme Robart, méconnaissable pour qui le connaît dans ses rôles à la télévision, pousse jusqu’à une dimension de matamore moderne le caractère gascon du personnage du chevalier venu du sud-ouest. Simon Thomas, Florent Hill et Jean-Yves Roan assurent les rôles de subalterne dans un jeu nuancé, plus intériorisé que farcesque. Enfin, Roxane Duran est si drôle, en soubrette encaissant tel un sismographe comique toutes les ondes des événements en cours.
Face à cette gentry dorée l’on se régale comme à un film de Renoir ou de Prévert mais tous les peintres amusés des contorsions de l’amour sont des enfants de Marivaux, si bien exalté ici dans son art à piéger nos aveuglements et à nous sauver par le rire de nos infinies petitesses.

L’Heureux Stratagème de Marivaux, mise en scène de Ladislas Chollat, scénographie d’Emmanuelle Roy, costues de Jean-Daniel Vuillermoz, lumières d’Alban Sauvé, musique de Frédéric Norel, assistanat d’Eric Supply, avec Eric Elmosnino, Sylvie Testud, Suzanne Clément, Jérôme Robart, Jean-Yves Roan, Simon Thomas, Florent Hill.

Théâtre Edouard VII, tél. : 01 47 42 59 92. (Durée : 1 h 50).

Photo Bernard Richebé.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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