L’Etrange Révélation de Joseph Danan

Un auteur de théâtre sur le terrain romanesque

L'Etrange Révélation de Joseph Danan

Auteur de théâtre passionnant que Joseph Danan. De Jojo le récidiviste – grand succès au compartiment jeunesse – à des œuvres ambitieuses et complexes (Cinéma, la trilogie d’Enquêtes du désir, De la révolution) dont certaines ont été montées par des metteurs en scène comme Alain Bézu, Joël Jouanneau ou Jacques Bonnaffé, tout y ferraille dans l’inattendu. L’un de ses textes récents, Lendemain, feuilleton théâtral, est particulièrement ébouriffant ; composé de huit parties et un prologue, il nécessiterait sans doute vingt heures de spectacle et son commanditaire, Julien Bouffier, n’a pu n’en monter que quelques heures (avec succès, car c’est d’une inventivité folle, comme on peut le voir dans le volume publié par la maison d’édition publie.net et préfacé par Jean-Pierre Ryngaert). Il écrit aussi poésie et fiction. Il est, enfin, une autorité au sein de la réflexion sur le théâtre, n’ayant pas volé son titre et sa fonction de professeur émérite à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne nouvelle. Ses essais, tels que Absence et Présence du texte théâtral (Actes Sud - Papiers), analysent l’écriture moderne avec une rare pertinence. Il passe continûment de la production d’idées à la confection d’œuvres iconoclastes à l’égard des certitudes enseignées.
Quelle nouvelle mouche, ou plutôt quelle nouvelle libellule sournoise l’a piqué pour qu’il passe à nouveau au roman et nous donne, avec L’Etrange Révélation, un récit qui se moque du théâtre, de l’université, de lui-même avec une insolence imprévue qu’il convient de lire au travers de plusieurs prismes ? Avant tout, ce sont, écrites à la première personne et au temps du présent, les péripéties d’un homme qui fréquente les gens de théâtre et les universitaires concernés par cet art. Ce personnage distrait a la malchance d’être à la porte de chez lui, à peine vêtu, sans les clefs de l’appartement et sans l’aide de sa famille (indifférente à ses appels au secours). Voilà pour le canevas, sur un mode burlesque. Mais, sans tarder, Danan accélère le mouvement et propulse son personnage dans une série d’événements catastrophiques qui relèvent du comique, certes, mais aussi du fantastique parodique, du tout est permis façon jeu vidéo et d’un cauchemar compact à ravir des psys hostiles au traintrain du divan. On ne sait plus à quel moment l’on est dans le rêve ou le sommeil, le conscient ou l’inconscient, le moment d’avant ou le moment d’après, dans Paris ou dans une ville du bout du monde. Notre égaré, quand il retrouve ses clefs, n’en perd pas moins pied dans une course-poursuite qui est toujours un parcours d’obstacles. Il bénéficie de l’aide d’un grand lapin qui, à chaque problème, paye les notes à régler. Il continue d’exercer tant bien que mal une profession imprécise qui le fait aller d’un spectacle à l’autre, de divers festivals à des performances en tout genre. Il voit surtout des spectacles mal montés, massacrés ou obscurs, obstinément attiré par la pulpe non fictionnelle des actrices sans qu’il puisse dépasser les stades des préliminaires et des fantasmes – d’autres femmes que les comédiennes fascinent sans cesse ce fou de théâtre et de féminité. Au rayon de ses désillusions s’ajoute le fait que des metteurs en scène et des universitaires arrogants ne cessent de lui couper la route ou de lui gâcher la vie. Des « poètes vengeurs » vont vouloir le juger en leur tribunal au terme de ce méli-mélo multi-géographique où la Sorbonne flirte avec les bas-fonds de la planète. Avec ce qu’il a gardé d’esprit d’enfance, il s’en sortira peut-être.
Est-on dans un cartoon qui n’a pas peur des scènes osées, dans un film de David Lynch où les énigmes ne se résolvent pas, dans un comprimé de film sud-coréen et de BD sulfureuse ou chez un lecteur moderne et allumé d’Alice au pays des merveilles ? On est dans du Danan qui s’amuse avec la gaieté du joueur de quilles. Lui, la figure estimée du campus culturel où règnent le sérieux et la science, prend la route à contre-sens et fait tomber les têtes, la sienne comprise. Il en fait sans doute un peu trop dans la frénésie érotomane (les féministes n’apprécieront guère, mais Danan emprunte en riant les tics d’une certaine littérature policière). Les gags sont incessants, la langue jongleuse, la drôlerie extrême. Le théâtre joue le rôle de toile de fond ou d’une toile peinte qui descend des cintres, y remonte et revient, ce qui est une façon de dire, avec le goût de l’inversion des aveux, non pas « la vie est un théâtre » mais « le théâtre est ma vie ». On pourrait parler d’un effervescent jeu de masques, si le terme n’était si éculé. Jeu de masques, de caches et de traces. Il y a, par instants, des vérités qui sont sans doute très personnelles et passent par ces traces qui s’impriment dans la glissade des pages : surtout, des noms rapidement mentionnés (Perec, Nabokov, Brook, Piccoli, Emmanuelle Béart…) dont le lecteur doit souvent deviner lui-même l’importance réelle ou relative. Découvrir ce qui est aussi un autoportrait dissimulé est l’un des plaisirs de celle ou celui qui lit un tel ouvrage, tournoyant comme un gyrophare. Bien d’autres allusions sont à décrypter, vraisemblablement. Le livre miroite à cent à l’heure, il ne faut rien laisser passer, ne pas y voir qu’une jubilation de destruction – un hommage aux vrais artistes et aux vrais amis se tapit derrière la parade ravageuse.
Un écrivain de théâtre n’est pas nécessairement un romancier. Danan est bel et bien un romancier. Cela vient sans doute de sa passion du cinéma…

L’Etrange Révélation de Joseph Danan, roman. Editions Douro, collection La Bleu-Turquin dirigée par Jacques Cauda, 132 pages, 17 euros.
Photo Anne-Denise Bautista.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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