L’Avare de Molière par Benoît Lambert.

Bel éveil des jeunes gens à la résistance contre la bêtise des anciens.

L'Avare de Molière par Benoît Lambert.

L’Avare, pièce à laquelle s’attache avec une inspiration amusée Benoît Lambert, directeur de la Comédie de Saint-Etienne, Centre dramatique national, est une grande création de Molière. « Tout, dans cet homme, respire l’avarice et la décrépitude. Rongé par une maladie de corps, Harpagon l’est aussi par une maladie de l’âme. Ladre, il rogne sur la nourriture et les habits de ses domestiques, sur l’avoine de ses chevaux, sur l’entretien de son fils… Usurier, il prête à des taux exorbitants, calcule, évalue tous les objets qui l’entourent… » (Georges Couton, L’Avare, Molière)

Alors qu’il s’apprête à marier sa fille avec un riche seigneur, et qu’il envisage lui-même d’épouser en secondes noces une jeune fille du voisinage, le vieil usurier voit s’abattre sur lui un enchaînement de catastrophes : conflits avec son fils, querelles avec ses valets, mensonges de son intendant… jusqu’au vol du trésor qu’il avait enterré dans son jardin.

Une version vive et acérée de L’Avare, célèbre pièce de 1668 du maître de la comédie.
Emmanuel Vérité incarne un Harpagon à la fois tragique et grotesque, à la fois juvénile et âgé, irréversiblement poussiéreux et décati, placé hors du temps, refusant les générations nouvelles.

Histoires de mariage, de querelles familiales, de quiproquos et de bastonnades- mais pas que -, la pièce vibrante appelle le jeu sur la scène que les interprètes foulent avec brio. Valère, l’Intendant d’Harpagon, est contraint d’avouer son amour pour Elise, fille de la maison, tandis que le père félon imagine que c’est de la cassette dont il s’agit, ses écus accumulés rivalisant avec l’amour.

A la comédie sentimentale et galante, se glisse des périodes de farce ou de commedia dell’arte. D’un côté, la hauteur des sentiments et le beau langage pour les amoureux, et la brutalité comique et triviale pour l’Avare : choc de deux mondes, contraste des générations et des esthétiques. Eloge de la jeunesse et guerre des époques, le parti de la vie et de l’élan est celui des jeunes gens. Le temps des barbons et des vieux pères non éclairés est révolu, les anciens voulant s’approprier la jeunesse, épouser l’image même de leurs enfants, n’acceptant pas de passer le bâton de relais.

Ne sont prometteurs et sereins que les jeunes amants, un quatuor bienheureux, face aux calculs et petits arrangements de l’entremetteuse Frosine, du voleur La Flèche et du fourbe Maître Jacques - le roué Etienne Grebot dans ces rôles et celui du père retrouvé enfin, est plutôt piquant et rieur.

L’atmosphère poussiéreuse et sordide plane sur le plateau de théâtre qui n’est qu’un amas de caisses grises et tristes de rangement où sont celés des objets accumulés à ne pas toucher, le bien d’Harpagon qui ne jouit de rien si ce n’est des écus et des choses sans vie ordonnancées : chandeliers, coupes d’argent, verres, vases de prix exposés, sans qu’on ne les effleure jamais.

Un monde où l’usure paternelle a force de loi, où l’emprunteur filial est perdant, l’avarice détruisant tout, la beauté des intérieurs comme le plaisir de vivre, et Harpagon - fantastique Emmanuel Vérité - est aussi gris et grisâtre, vidé d’enthousiasme, comme sa demeure même où l’amour ne peut s’épanouir, ayant déserté les lieux, prisé intelligemment par les jeunes gens.

Un cauchemar scénique mêlé d’un plaisir de théâtre éprouvé - tendance Giorgio Strehler avec ses parures vestimentaires XVIII è siècle et l’atmosphère délabrée du lieu investi -, entre allées et venues feutrées des personnages jouant au chat et à la souris, empêchés de se mouvoir dans ce débarras de meubles, un fouillis étouffant d’objets et un cumul vain de caisses et de paille.

Les comédiens sont pleins de vie et d’allant, porteurs d’amour, de foi et d’espérance existentielle : saluons Estelle Brémont, Anne Cuisenier, Baptiste Febvre, Théophile Gasselin, Maud Meunissier.

L’Avare de Molière, mise en scène de Benoît Lambert, assistanat à la mise en scène Colin Rey, scénographie et création lumière Antoine Franchet, création son Jean-Marc Bezou, costumes Violaine L. Chartier, maquillage Marion Bidaud. Avec Estelle Brémont, Anne Cuisenier, Baptiste Febvre, Théophile Gasselin, Étienne Grebot, Maud Meunissier, Emmanuel Vérité. Les 20 et 21 avril 2023 au Théâtre Louis Aragon, Scène conventionnée, Tremblay-en-France. Du 26 au 28 avril 2023, Théâtre d’Angoulême, Scène nationale. Les 3 et 4 mai 2023 Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon.
Crédit photo : Sonia Barcet.

A propos de l'auteur
Véronique Hotte

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook