Du 19 octobre au 31 décembre 2024 au Théâtre de L’Atelier Paris 18è.
L’Amante anglaise de Marguerite Duras par Jacques Osinski.
Une exploration éloquente de la condition ignorée d’une femme en 1968.
Après l’emblématique Fin de Partie de Beckett, Jacques Osinski s’empare d’un autre grand classique, L’Amante anglaise de Marguerite Duras. Inspiré d’un fait divers authentique, ce thriller psychologique autour de la personnalité énigmatique de Claire Lannes invite le spectateur à explorer les méandres de l’âme humaine.
Le fait divers concerne le meurtre par Amélie Rabilloud de son mari, qui dépeça le cadavre et en évacua les morceaux un par un en les jetant depuis un pont dans différents trains. Duras en écrivit une pièce, les Viaducs de la Seine-et-Oise, puis un roman L’Amante anglaise, qu’elle re-transforma en pièce de théâtre - une forme nouvelle et radicale sans nul décor ni costume. « Un théâtre à l’état pur », selon le metteur en scène Jacques Osinski, qui oeuvre à « comprendre l’in-comprenable ».
Dans le fait divers, Amélie Rabilloud a tué un mari tyrannique. Dans la pièce, le mari est vivant, et le meurtre de Claire Lannes concerne sa cousine sourde et muette. Sans raison apparente, « en tuant la sourde muette, c’est tout ce qu’elle ne peut dire que Claire tue », écrit le metteur en scène.
Pierre Lannes, le mari, et Claire Lannes investissent la scène, successivement, séparément, assis sur leur chaise, à découvert, démunis, entiers, disponibles, face à l’Interrogateur qui intervient depuis la salle - un reflet du public -, « passeur » fervent, désirant savoir, sans sans juger, tendu par la quête de sens.
Beckett, Duras, le questionnement est le même, à travers le verbe et la parole d’un être en dialogue intérieur avec soi, dans l’attente, le silence, l’isolement. Opacité et transparence, évidence « claire » des mots simples, précis et approximatifs, qui ourlent la pensée de celle qui réfléchit à part soi, sans écho. Dans un lien distendu au monde, avec une rare résonance profonde, depuis cette énigme existentielle des rapports de soi avec les autres, sur scène et dans la salle, advient pas à pas le cheminement d’une révélation que l’art du théâtre consent.
Il y eut l’événement fondateur de ce qui révéla l’être-au monde de Claire, l’amour fou éprouvé pour l’agent de Cahors, ville dont elle est originaire, et qui la quitta, puis le mariage avec Pierre Lannes sans passion, et la vie dès lors à Viorne dans la circonscription de Corbeil, où la présence d’Alfonso, coupeur de bois, la réconforte.
La voix off du fidèle Denis Lavant expose objectivement dans le prologue les faits et le crime, puis le mari - Grégoire Oestermann - survient précautionneusement d’une porte qui s’ouvre, depuis un mur de lointain rapproché de la salle. Il s’assied, à la fois humble et d’une dignité naturelle, s’attachant à élucider le geste de l’épouse. Duras, rapporte Jacques Osinski, définissait Pierre, tel un « petit-bourgeois haïssable », reconnaissant sa présence véritable, sans faux-semblant. L’acteur concentre à merveille - paroles et gestuelle - la difficulté d’expliciter toute motivation, ménageant doutes et suppositions, silences et sentiment de culpabilité.
Frédéric Leidgens est le Maître des Jeux, paradoxalement discret et pudique dans cette traque systématique, jusqu’au-boutiste, mais pleine de tact, de la personnalité de la criminelle : tenue sobre et distinguée, délicatesse et prévention, voix profonde qui énonce ce goût affirmé, réitéré, revendiqué d’un art de dire qui résonne profond.
Quant à Sandrine Bonnaire pour Claire, elle est infiniment juste dans cette indétermination à se connaître, impuissante en même temps qu’intense, à l’écoute ultime de cet interlocuteur privilégié qu’elle aurait tant aimé rencontrer dans la suite de ses jours.
Le plaisir du public intrigué tient à cette quête patiente d’un théâtre épuré via l’écoute verbale de l’exemple énigmatique d’une errance existentielle éprouvée.
L’Amante anglaise de Marguerite Duras (éditions Gallimard), mise en scène de Jacques Osinski, lumières Catherine Verheyde, costumes Hélène Kritikos, dramaturgie Marie Potonet. Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens, Grégoire Oestermann. Du 19 octobre au 31 décembre 2024, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h, au Théâtre de l’Atelier 1, place Charles Dullin 75018 - Paris. Tél : 01 46 06 49 24, billetterie@theatre-atelier.com
Crédit photo : Pierre Grosbois.