Journal de confinement de Wajdi Mouawad
Un appel d’air salutaire
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- 5 avril 2020
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Nous avions parlé de l’initiative du théâtre de la Colline mise en place dès les premiers jours du confinement et depuis largement saluée par les médias. Au bout de trois semaines, le Journal de confinement offert par Wajdi Mouawad sur le site du théâtre pourrait faire figure d’œuvre à part entière, un témoignage humain, artistique de haute volée dans laquelle Mouawad s’engage en tant qu’individu pour exprimer ce que lui inspire cette situation inédite. Parfois, il part de situations anecdotiques pour, invariablement, au fil du petit quart d’heure journalier, s’élever, prendre de l’altitude, s’ouvrir à des souvenirs de l’enfance au Liban et de la guerre, de la vie à Montréal ou des nuits passées à rêver sous un secret bec de gaz à Nogent-sur-Marne. Sa pensée, ses réflexions amples, douées de ce souffle qu’on aime tant dans ces meilleures mises en scène, sont nourries (et nous nourrissent) de détours par la mythologie grecque, le cinéma, la peinture, la poésie, convoquant les artistes qui lui sont chers. Il met en oeuvre son art singulier de la digression, du retour en arrière, des récits parallèles ou enchâssés les uns dans les autres, il brasse les thèmes obsessionnels qui traversent ses pièces (le sacrifice, la parole donnée, la promesse non tenue, etc, (cf le Jour 18, vendredi 3 avril) et, alors qu’on croit qu’il a perdu le fil, il rassemble tous ses motifs pour revenir à la situation actuelle, et parler du confinement.
Dans cette période étrange où l’on se sent un peu sidérés, hébétés, incapables de penser à autre chose qu’à maîtriser sa peur, s’approvisionner ou à se protéger, ces petites pastilles poétiques nous aident à faire tomber nos confinements intérieurs ; les mots de Mouawad, et sa voix si douce, créent un appel d’air salvateur. Il pense le monde à travers ses propres expériences et a le talent de savoir les transmettre. Certes, les propositions sont inégales — et comment ne le seraient-elles pas ? — mais toutes sont belles, certaines exceptionnelles. L’exercice exigeant compte déjà 18 opus (combien encore à venir pour arriver au bout de nos peines ?), autant de viatiques pour tenir bon dans la tourmente de cette Odyssée involontaire, de vade mecum à consulter sans restriction pour ne pas perdre le nord dans cette traversée tempétueuse.
On peut espérer une large diffusion (publique et scolaire) de l’ensemble (audio, papier, les deux), parce que c’est le témoignage d’un événement inédit dans notre histoire, mais aussi, pour ses qualités intrinsèques, littéraire et philosophique.
Journal de confinement de Wajdi Mouawad, théâtre de la Colline.
www.colline.fr