Angers-Nantes Opéra, saison 2022-2023

Alain Surrans, directeur d’Angers-Nantes Opéra, nous reçoit à l’occasion de l’ouverture de la saison et de la création du premier opéra de Philippe Leroux.

Angers-Nantes Opéra, saison 2022-2023

Alain Surrans, vous êtes arrivé en 2018 à la tête d’Angers-Nantes Opéra. Quel était alors votre état d’esprit ?
En voisin breton, je connaissais la réputation d’Angers-Nantes Opéra, et j’ai tout de suite perçu, en arrivant, un très haut niveau de qualité, atteint grâce au travail de mon prédécesseur, Jean-Paul Davois. J’avais donc à cœur de maintenir cette exigence, auxquels les publics angevins et nantais se sont justement habitués. J’ai tout de suite tenu à rééquilibrer la programmation, à la fois en donnant davantage à Angers, mais aussi à la danse et aux concerts, qui à mon goût étaient trop peu nombreux. Il m’a semblé que notre maison avait une présence trop intermittente, je suis donc venu avec l’envie de proposer davantage de levers de rideaux.

Plus de levers de rideaux, c’est donc davantage de public accueilli, mais aussi davantage de dépenses…
Pour faire davantage, comme je le souhaitais, il fallait forcément faire quelques économies, c’est vrai. Mes efforts ont surtout été consacrés à ouvrir davantage cette maison, d’imaginer d’autres projets, qui ont pris plusieurs formes : des concerts pour étoffer l’activité du chœur, davantage de relations avec l’Orchestre national des Pays-de-la-Loire, la recherche de partenariats avec des acteurs de l’agglomération comme La Soufflerie à Rezé ou le Lieu Unique, la poursuite de Baroque en Scène… J’ai aussi proposé un retour de la danse au Théâtre Graslin, injustement mise sur le côté depuis 1990. Notre idée était d’avoir une programmation plus fournie, plus ouverte, et de jouer la carte populaire. J’ai tenu à ce que nous proposions davantage de soirées au public, et nous sommes vite passés de vingt-cinq représentations à une cinquantaine.

Vous semblez tenir au caractère populaire de l’opéra, comment essayez-vous de le mettre en œuvre ?
Je l’ai dit, je tenais à ce que nous soyons plus ouverts, populaires, et que l’image de l’opéra ne soit pas celle d’une maison poussiéreuse. Alors, en m’appuyant sur le travail de qualité des équipes qui m’ont précédé, j’ai entrepris plusieurs chantiers à mon arrivée. Nous avons lancé des concerts participatifs, « Ça va mieux en le chantant », une saison Voix du monde, l’opéra en grand écran sur les places de la ville. Il fallait aussi, pour accentuer cette politique d’ouverture de l’opéra, prêter les clefs de la Maison, à d’autres types de musique : du jazz, de la variété, des enregistrements de disques, qui ont permis d’augmenter le nombre de représentations à une centaine par an... L’objectif d’un directeur d’opéra aujourd’hui, c’est de prouver, contrairement à ce que tout le monde dit, que l’opéra n’est pas élitiste, qu’il est ouvert, divers, vivant. C’est vraiment le fil conducteur de mon travail.

L’ouverture passe-t-elle aussi par une politique particulière vis-à-vis du public ?
Bien sûr, le volet populaire passe par l’ouverture de l’opéra à tous les publics, avec des tarifs très préférentiels, des ateliers dans les quartiers, dans les établissements scolaires. Nous voulons que tout le monde puisse y aller, et c’est possible aujourd’hui, en prenant en compte les tarifs adaptés, les partenariats, le tout grâce au soutien des collectivités territoriales. Aujourd’hui, on peut venir à l’opéra assister à un concert à partir de 3€ ou un opéra à partir de 12€, et même 4€ pour les jeunes.

Pour ouvrir, ne faut-il pas aussi donner des clefs de compréhension aux publics éloignés ?
C’est une fausse question. L’opéra raconte des histoires, donne des émotions, l’opéra n’a jamais été un objet ésotérique ! Lorsque l’on me demande si je démocratise l’opéra, je réponds non ! L’opéra, comme le conte, est démocratique par essence ! Et même si quelques jeunes nous disent « l’opéra c’est le luxe », c’est simplement qu’ils découvrent ce dont ils n’ont pas l’habitude : le vivant, les artistes, la scène. Cela n’empêche pas de donner des clefs pour attirer les publics moins habitués, via un important travail d’action culturelle notamment. Mais pour moi, la vraie question est celle de la sortie et de la pratique culturelle. À l’opéra, comme dans le spectacle vivant en général, il y a un impératif horaire, fixe, le soir. Le sujet, c’est donc la liberté, puisqu’on ne peut pas aller à l’opéra à n’importe quelle heure, comme on allume sa télévision ou Netflix… L’opéra, où qu’il soit, doit toujours s’assurer de procurer l’effet de surprise et d’enthousiasme. Je me souviens que, plus jeune, quand le rideau se levait, on applaudissait le décor. À l’opéra, on applaudit toujours l’illusion, le spectaculaire, le magique.

À propos des sorties culturelles justement : les cinémas, les salles de théâtre se plaignent que l’activité n’ait pas encore pleinement repris. Diriez-vous qu’Angers-Nantes Opéra est également touché ?
Je dirais que nous avons eu de la chance. Comme nous avons mené un travail de longue haleine sur la diversité des publics et de la programmation, nous avons eu, en 2021-2022, une baisse de la fréquentation de simplement 15%. Au-delà du chiffre, par contraste, je me réjouis de grands succès au cours de la saison, comme la comédie-ballet Le Malade imaginaire, donnée onze fois. Et onze fois, nous avons fait salle comble ! Et pourtant, croyez-moi, c’était un défi au sortir de la crise, qui nous avait habitués, à la maison, à des diffusions de 40 minutes ou une heure maximum. Là, nous avons capté l’attention pendant plus de trois heures, preuve que la durée n’est pas le problème de l’attractivité de l’opéra. Je dirais même que les longues durées à l’opéra sont une puissance, une force. Les cinq heures de La Walkyrie, c’est une expérience, on peut dire qu’on l’a faite !

Croyez-vous qu’il faille être artiste, gestionnaire, ou politique pour endosser le costume de directeur d’opéra ?
Être directeur d’opéra, c’est un métier à plein temps, et je pense qu’il n’est plus possible d’être artiste en même temps que directeur d’opéra, c’est trop lourd ! J’ai du mal à comprendre pourquoi quelques-uns s’entêtent à vouloir faire les deux. Il faut pour ce rôle avoir le sens du service public. Le lien avec les territoires, les publics et les politiques est permanent, et je rappelle souvent que nous héritons de ce que les décisions politiques ont apporté dans le temps. Notre rôle est aussi de faire comprendre que l’opéra est ouvert, que l’on peut s’y intéresser par de nombreux canaux, il faut donc en parler, le promouvoir sans cesse, pour donner envie. Mais la veine artistique prime, puisque nous avons la responsabilité de monter des saisons, de choisir des ouvrages. Il ne s’agit pas seulement d’avoir des grands noms, mais aussi du flair pour des chanteurs magnifiques, des productions audacieuses. Un directeur d’opéra a même la chance de commander des œuvres qui seront données en création mondiale… J’imagine que vous me poserez une question à propos de L’Annonce faite à Marie !

Parlons justement de la saison qui s’ouvre, avec une programmation pleine de surprises. Avez-vous volontairement fait le choix d’une saison audacieuse ?
La première chose, c’est que je n’ai que cinq productions dans l’année, et donc je ne peux pas faire une programmation convenue. Mon critère principal dans les choix artistiques n’est pas de remplir la salle à tout prix, avec des titres connus. Des surprises oui, vous avez raison, mais regardez, j’ai quand même programmé Mozart, Donizetti, Haendel, Verdi. Il y a même une création mondiale, ce n’est pas rien ! Depuis quelque temps, je m’attache à ressortir des pièces méconnues du répertoire de la seconde moitié du XXe siècle, c’est le cas de La Vieille Maison, de Marcel Landowski. Sachez que le public d’Angers et Nantes est découvreur, habitué à des surprises et demandeur de nouveautés. On l’a même habitué à une création par an ! L’idée, c’est que l’éclectisme vienne du choix des titres mais aussi des approches, des mises en scène. Pour des ouvrages que des gens ont déjà vus plusieurs fois dans leur vie, il est pertinent de changer d’angle. La Traviata peut être interprétée de mille manières, on peut faire mille lectures différentes du bal des premier et troisième actes.
Avec des ouvrages connus, on peut toujours essayer de nouvelles choses donc. Concernant les ouvrages inconnus, je veux simplement que l’histoire reste compréhensible et accessible, que le tout soit intelligent.

Pourquoi avoir retenu La Vieille Maison cette saison ?
J’ai aimé cet opéra, car c’est un opéra qui raconte une histoire, avec et pour des enfants, qui transmet des messages : sur le pouvoir de l’argent, sur la mort, les terreurs... C’est un opéra qui interroge, Landowski avait été assez audacieux, sa musique est formidable de bout en bout.

Vous avez confié à Philippe Leroux la composition d’un nouvel opéra...
Philippe Leroux est un Ircamien, qui s’est très rapidement intéressé à la voix, que je connais depuis au moins vingt-cinq ans. Il a une écriture vocale très particulière, très intéressante, avec des œuvres formidables, comme Voi(Rex), l’une des plus belles œuvres du répertoire vocal contemporain. J’aime cette déstructuration du langage, la restructuration de la voix, sa relation avec l’acoustique. C’est un compositeur que je suis depuis longtemps, qui m’a dit il y a cinq ans qu’il se sentait enfin prêt pour l’opéra après y avoir toujours renoncé. Philippe Leroux a, au-delà de la musique, le goût du théâtre, dont on ne peut se passer à l’opéra.

Philippe Leroux a donc choisi de composer un opéra à partir du texte de Paul Claudel, L’Annonce faite à Marie. Son idée vous parle, et vous lui soufflez le nom d’un metteur en scène...
Oui, je lui suggère Célie Pauthe, dont j’avais vu le travail deux fois déjà : La Chauve-Souris qu’elle avait faite pour l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, et une Bérénice sublime aux Ateliers Berthier-Odéon. Je me suis dit que L’Annonce faite à Marie est un théâtre qui pouvait lui parler, qui joue sur les sentiments, la symbolique... Et c’était une volonté de confier ce grand chantier à une femme. Dans notre milieu, les femmes sont encore trop peu nombreuses, notamment dans le domaine de la direction d’orchestre et de la mise en scène. Philippe Leroux voulait donner la parole à Claudel, et Célie a eu la bonne idée d’aller sur les terres de Claudel, qu’elle a photographiées et retranscrites dans sa mise en scène. Claudel est donc là, sa présence est immanente dans cet opéra. Célie a beaucoup de sensibilité, elle a beaucoup travaillé et dialogué avec Philippe, dont nous avons hâte de voir le travail commun, en entier, sur scène. Les premiers éléments sont prometteurs !

Quant à Zaïde, un opéra incomplet et méconnu de Mozart, pourquoi ce choix ?
Zaïde est incomplet, c’est vrai. Il a donc fallu travailler de nouveaux éléments, à la fois pour la musique avec Robin Melchior, ainsi que pour le livret, tant parlé que chanté, repris par Louise Vignaud et Alison Cosson. J’ai voulu avoir le regard d’une femme pour interpréter cet opéra, et Louise Vignaud a présenté rapidement beaucoup de bonnes idées, dont celle de faire se dérouler l’histoire sur une île déserte, où une femme a du désir et s’extasie sur la beauté masculine. Voilà qui me rappelle La Tempête... Zaïde est un projet passionnant d’un point de vue dramaturgique. Pour le compositeur associé, il ne fallait ni faire du pastiche, ni de l’allogène. C’est un projet avec beaucoup de fraîcheur, avec de jeunes chanteurs, qu’il faudra venir découvrir !

Vous programmez un autre opéra inhabituel, Luisa Miller de Verdi. Puis L’Elixir d’amour. Est-ce une manière de vous rattraper avec quelques tubes et un peu plus de légèreté ?
Luisa Miller n’est pas l’opéra le plus joué de Verdi, ce n’est rien de le dire ! Grand passionné de Rigoletto, j’aurais pu succomber à l’habitude. Mais j’ai voulu montrer cet opéra avec l’œil de Guy Montavon, et le souffle d’une équipe pleine de vie ! Verdi c’est toujours une manière incroyable de traiter la voix. Quant à l’Elixir, c’est un peu le feu d’artifice final, la touche légère après une saison marquée par des destins lourds et une certaine noirceur. L’Elixir d’amour est un chef d’œuvre de tendresse, et personne ne reste insensible aux personnages. C’est un ouvrage dont le charme est plein d’arrière-plans, et que l’on est heureux de partager avec le plus grand nombre, c’est d’ailleurs l’Elixir que nous avons choisi de montrer sur un grand écran dans la ville. J’aime l’Elixir, cette tendresse, cet humour, ce sont des ouvrages qui vous réconcilient avec l’humanité, comme les grands classiques de Chaplin.

Vous nous avez présenté à grands traits la nouvelle saison d’Angers-Nantes Opéra. Quels mots choisiriez-vous pour la résumer ?
En premier lieu, c’est une saison de découvertes, avec tous ces ouvrages qu’on ne connaît pas. Et puis, je dirais « l’amour dans tous ses états », avec la nouvelle œuvre de Leroux, les Voix du monde, des artistes en résidence comme Carlos Natale avec « Profession Ténor ».

Un conseil de lecture avant de nous quitter ?
Je lis en ce moment un ouvrage passionnant de Michel Rochon, Le Cerveau et la Musique. J’aime lire des romans aussi, le dernier était La vie et l’œuvre du compositeur Foltyn, de Karel Čapek. Du même Čapek, lisez aussi La Maladie blanche, c’est magnifique, mais peut-être un peu trop difficile pour en faire un opéra ! Et puis pour finir, Le Petit Livre des couleurs de Michel Pastoureau.

Propos recueillis par Quentin Laurens

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Quentin Laurens

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