Critique – Opéra & Classique

IL TROVATORE – Le Trouvère de Giuseppe Verdi

Des voix et des ombres

 IL TROVATORE – Le Trouvère de Giuseppe Verdi

On en connaît les thèmes et les grands airs car une fois entendus ils ne vous quittent plus. Mais on le voit peu ce Trouvère (Il Trovatore) composé par un Verdi de 40 ans, entre Rigoletto et La Traviata pour former cette trilogie entrée dans les records de popularité. Et pour cause : ses notes extrêmes, du dolcissimo au contre-ut, ses trilles, vocalises échevelées et autres virtuosités exigent des interprètes de très très haut vol difficiles à réunir. C’est pourtant l’exploit que vient de réussir presque à 100% Stéphane Lissner pour l’Opéra National de Paris qu’il dirige en gourmet des talents hors normes. Anna Netrebko, Ludovic Tézier, Marcelo Alvarez, Ekaterina Semenchuk en forment le quatuor de tête, fort bien entourés par les rôles secondaires (l’excellent Roberto Tagliavini notamment) , un chœur, comme d’habitude époustouflant de maîtrise et une excellente direction d’orchestre signée Daniele Callegari.

Autre vedette convoquée : Alex Ollé du collectif catalan La Fura dels Baus, metteur en scène comptant parmi les plus novateurs des quinze dernières années. On en attendait beaucoup (voir WT 4320, 3689, 2831…), trop peut-être par rapport à ces précédentes éclatantes réussites si bien que la déception s’est ici imposée en fin de course. Les embrouillaminis de ce mélo de cape et d’épées au romantisme flamboyant venu d’Espagne (le drame d’Antonio Garcia Gutierrez mis en livret confus par Salvatore Cammarano) ne sont, il est vrai, pas simples à visualiser. Le russe Dimitri Tcherniakov avait à la Monnaie de Bruxelles opéré une transposition radicale dans les méandres du subconscient tout à fait réussie (voir WT 3338). Alex Ollé a opté pour l’abstraction. Belle idée, belles images, superbes lumières (Urs Schönebaum) mais qui dans les entrelacs de ses symboles ne tiennent pas la route jusqu’au terminus. On peut tenter d’en déchiffrer le sens au début, mais ils deviennent assez vite comme dénués de signification à force de se répéter en effets esthétiques. Les miroirs ondulants du fond de scène qui dédoublent l’action et où se reflète également le chef d’orchestre semblent eux aussi hors sujet

D’une scène à l’autre, une vingtaine de blocs posés en damiers, tantôt carrés, tantôt rectangulaires, montent, descendent, depuis les dessous du plateau jusqu’aux cintres, couvrant, découvrant des fosses, des cimetières, des incendies. La Grande Guerre, celle de 14, s’est substituée au folklore pseudo médiéval, les chevaliers sont des soldats casqués, armés de mitraillettes et de masques à gaz. Du noir, du blanc, quelques ocre, la tache rouge du manteau de Leonora, et l’immaculé des robes des couventines secouent les monochromes. Leur guerre devient une guerre d’ombres et seules les voix les emmènent vers la lumière. Prima la musica !

Anna Netrebko connaît sa Leonora qu’elle a chantée dans les plus grandes maisons d’opéra, elle l’a faite sienne, elle l’impose dès sa première apparition. Le timbre ample et onctueux s’est arrondi comme la silhouette, le souffle semble sans limite, les aigus ont des couleurs de braise et les graves celles des bas-fonds … La russe Ekaterina Semenschuk, mezzo aux inflexions d’encre, lui fait face en Azucena, gitane, éternelle étrangère, brisée par l’héritage d’un destin tragique. En Manrico, l’amant rayonnant, le chanteur solaire, l’argentin Marcelo Alvarez fait baisser la lumière. Il fut autrefois un ténor radieux, il en a gardé des restes qui ici et là font encore mouche même si son très attendu « Di quella pira » laisse sur sa faim.

L’exploit revient à Ludovic Tézier, ce baryton à la tenue autrefois un peu raide mais dont la puissance de timbre s’est imposée depuis longtemps. Ici, il explose, pourrait-on dire, par l’intelligence de son jeu retenu, par sa voix qui envahit l’espace et les cœurs . Avec lui le méchant, le vilain comte Luna devient humain et quand il se plaint de « Ardita… » jusqu’à « la tempesta del moi cor », on en frissonne de compassion.

Daniele Callegari n’a pas seulement le mérite de ne jamais faire couvrir les voix par l’orchestre maison, mais il réussit à lui insuffler l’énergie toute en contrastes d’une partition qui surfe sur les extrêmes.


Il Trovatore de Giuseppe Verdi, livret de Salvatore Cammarano d’après Antonio Garcia Gutiérrez. Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Daniele Callegari, chef de chœur Jose Luis Basso, mise en scène Alex Ollé (La Fura dels Baus), décors Alfons Flores, costumes Lluc Castels, lumières Us Schönebaum
. Avec en double distribution :
Ludovic Tézier (du 28 janvier au 29 fév , et Vitaliy Bilyy en mars
Anna Netrebko (28 janvier – 15 fév.) et Hui He (20 fév. – 15 mars)
Ekaterina Semenschuk (jusqu’au 29 fév. A l’exception du 27) et Luciana D’Intino (27 fév. – 1-15 mars)
Marcelo Alvarez ( du 28 janvier au 15 mars sauf le 29 fév. Et le 3 mars, remplacé par Yusif Eyvazov
Roberto Tagliavini (28 janv. Au 24 fév.) Liang Li (27 fév . – 15 mars),
Marion Lebègue, Oleksy Palchykov, Constantin Ghircau, Cyrille Lovighi.

Opéra Bastille, les 28 & 31 janvier, les 8, 11, 15, 20, 24, 27, 29 février, 3, 10, 15 mars à 19h30, le 3 février à 20h30, le 6 mars à 14h30

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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