Critique – Opéra-Classique
François Couperin raconté et joué par Christophe Rousset
Pour le chef français, son biographe et interprète, François Couperin est le premier poète de la musique française.
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- 23 septembre 2016
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Quand Christophe Rousset aime un compositeur, il ne compte ni son énergie ni ses nombreux talents d’écrivain subtil, de musicologue pertinent et d’interprète pénétrant pour valoriser celui qu’il considère être « le premier poète de la musique française ».
A quelques jours d’intervalles, le claveciniste et chef fondateur de l’ensemble Talens lyriques qui revendique d’avoir abordé la totalité de son œuvre sauf les pièces d’orgue avec à la clé de nombreux enregistrements de référence, publie une monographie dense, documentée et intime de François Couperin (1668-1733) aux éditions Actes Sud/Classica et un enregistrement chez Aparté des deux Apothéoses de Couperin - celles de Corelli et de Lully - accompagnée d’ une cantate inédite, Ariane consolée par Bacchus, que le chef musicologue n’hésite plus à la suite d’une enquête serrée à lui attribuer alors qu’aucune n’était inscrite à son catalogue.
« Il faut se taire devant Couperin, écouter ses accents rêveurs, tendres délicieusement moqueurs. C’est lorsqu’on le laisse s’épancher dans des espaces à sa dimension que sa magie opère, qu’il se met à parler tout doucement à nos cordes les plus sensibles. » Ce qui touche le plus dans sa monographie, c’est que Rousset ne cesse d’en parler comme d’un ami, entre confident et compagnon de route alors même que sa vie de courtisan musicien n’offre que « peu de prise pour l’aimer encore mieux, le comprendre encore mieux, et se l’approprier ». S’il a les mots justes pour restituer la subtilité et la profondeur que lui inspire ce grand improvisateur, le biographe réussit aussi une véritable gageure : nous passionner un musicien dont la vie paisible n’a rien de spectaculaire sauf le caractère trempé et la sensibilité exquise. C’est donc par un ‘Eloge de l’ombre’ que Rousset condense le chapitre ‘Une vie’ d’un Couperin issu d’une longue lignée de musiciens s’épanouissant sous les orgues de Saint Gervais et au sein de la Cour de Versailles grâce aux charges qu’il obtient loin des intrigues par ses talents multiples de claveciniste et chambriste parmi les plus en vue, de professeur recherché et de pédagogue reconnu.
« Couperin n’est que le parfait et génial reflet des tendances de son temps » Rousset plonge ses analyses aux racines et embrasse large. Il rend justice à un musicien qui cristallise les changements esthétiques et stylistiques, entre la noblesse d’expression du Grand siècle et la subjectivité émergente de la sphère intime pendant la Régence. S’il en appelle à l’Histoire, à la neutralité dans la querelle entre influence italienne et française, et aux titres des multiples pièces de caractère, c’est pour mieux insister sur toutes les dimensions du compositeur même si pour l’essentiel c’est sa musique profane qui a traversé les siècles hormis bien entendu les exceptionnelles Leçons de ténèbres (hélas trois sur neuf écrites) « l’un des plus précieux fleurons de la musique française ».
- « Toute sa vie est pensée au clavecin. » Avec son ‘Portrait d’un portraitiste’, malgré la faiblesse des documents disponibles, Rousset croque finement les traits d’un courtisan conscient et sûre de son talent, donnant des indications incroyablement précieuses sur ses partitions, à l’égo affirmé, même si précise l’auteur, « son ego, c’est avant tout son instrument, son clavecin » pour lequel il publie quatre Livres. C’est aussi au clavecin qu’il écrit ses Leçons de ténèbres, Goûts réunis ou Pièces de violes, « trahissant le peu de cas qu’il fait des limites qu’il fait d’un instrument ou d’une voix. »
L’essentiel du propos est par conséquent concentré sur le clavecin, son évolution, ses écoles et ses formes, avec l’ambition à l’issue d’une analyse, parfois technique de tous ses Livres, de ne pas réduire Couperin au ‘musicien de l’intime’ au profit de « son art de la miniature qui doit trouver celui qui aime l’infiniment petit, qui s’émeut d’une note bien trouvée » Sans oublier de fournir des clés pour mieux l’interpréter et l’écouter : « Jouer ‘affectueusement’ au clavecin n’est évidemment pas une entreprise simple. C’est là que le cœur de l’interprète doit parler, à l’unisson si possible des élans du compositeur, et qu’il faudrait s’appliquer à toucher plus qu’à surprendre, selon les préceptes du maître. Pour résumer, n’est-ce pas en termes de nonchalance qu’il faudrait avant tout penser ?" ‘Nonchalamment’ est une indication que l’on rencontre parfois sous la plume de l’auteur. " Car la musique française, et plus encore celle qui nous occupe, ne souffre pas qu’on la force, qu’on lui fasse exprimer un propos qui ne serait pas le sien. Elle a besoin de temps, d’espace, de soin… de goût. »
Une fois de plus, la collection Actes Sud quand elle nous livre un portrait de compositeur brossé par un artiste de la trempe de Christophe Rousset en parfaite affinité avec son sujet (après un Rameau du même auteur), offre une vision pas seulement « de l’intérieur » de l’œuvre, mais aussi nourrie des liens parfois exigeants qu’elle tisse avec ses interprètes et les mélomanes. Après avoir refermé ce véritable livre de bord d’un interprète pénétrant, il est temps d’écouter leur complicité, à commencer par ces deux magnifiques Apothéoses de Lully et de Corelli, ses Leçons de ténébres, et Les Goûts réunis, autant de chefs d’œuvres d’un ‘ensorcelant révélateur’.
• Christophe Rousset, François Couperin, Actes Sud / Classica, 220 pp., 18 €.
• Au disque par les Talens lyriques sous la direction de Christophe. Rousset
o Ariane consolée par Bacchus (chanté par Stéphane Degout) / Apothéoses de Lully et de Corelli (cd Aparté Music),
o Leçons de Ténèbres (chantées par Sandrine Piau et Véronique Gens) (cd Decca Universal)
o Les goûts réunis (cd Decca Universal)