Et moi et le silence de Naomi Wallace

Exister en dépit des obstacles de la société

Et moi et le silence de Naomi Wallace

Naomi Wallace née en 1960, sacrée écrivain de l’année en 1997, est autrice de pièces jouées à Londres, Louisville et New York, dont l’une d’elles Une puce (Épargnez-la !), située au dix-septième siècle pendant la grande peste de Londres, est inscrite au répertoire de la Comédie-Française.

Engagée et attentive au désespoir des humbles, Naomi Wallace traite de la grève des abattoirs à Chicago, de la guerre en Irak ou des lendemains douloureux des lointaines batailles américaines. L’autrice, pour le metteur en scène René Loyon qui crée Et moi et le silence, porte un regard aigu sur la société et les injustices contemporaines.

La jeune Jamie et la jeune Dee, l’une Noire l’autre Blanche, se rencontrent en prison quelque part dans les Etats-Unis des années 1950. Naît entre elles une amitié passionnée, une complicité amoureuse, une envie de poursuivre la route ensemble. Elles se rêvent en domestiques, s’entraident, répètent fiévreusement leurs rôles de domestiques ou bonnes à tout faire.

Quelques années plus tard, les mêmes partagent un logement sordide. Leurs rêves, si modestes qu’ils aient été, se sont heurtés au mépris de classe et à la ségrégation, comme à l’irréversible condition de la femme, pouvait-on penser, à une époque figée et réactionnaire.

Par des allers-retours entre passé et présent, Naomi Wallace donne à cette relation impossible « la forme d’un miroir brisé ».

Et moi et le silence dénonce la brutalité des rapports de classe, le racisme quotidien qui marque encore à maints égards la société américaine. Pour la traductrice Dominique Hollier, l’autrice américaine « part des corps pour décrire le corps social ». Entre Jamie, l’ « Afro-américaine » et Dee « la Blanche », circule la tendresse et l’empathie éprouvée par l’universelle Naomi Wallace.

Dures, violentes, portées par le désir juvénile de vivre et de s’en sortir, elles veulent, en 1950, malgré les interdits - classes sociales, racisme et déni homosexuel -, trouver leur place.

Des scènes du passé en prison, dans la cellule de Jamie avec petite fenêtre lumineuse - le tableau d’un arbre - , la représentation passe à un présent sordide, dans une petite chambre, quelque part aux Etats-Unis, neuf ans plus tard, sans qu’on ait l’impression que quoi que ce soit ait pu changer.

On peut penser aux Bonnes de Jean Genet, des femmes irréductibles qui auraient décidé de s’en sortir et de « réussir » en dépit de tout, éludant d’abord le moindre retour à la case-prison. Une allusion est encore saisie plus tard : l’affaire du Sofitel de New-York, qui révèle une condition « inférieure » non seulement sociale, mais aussi de couleur et de genre. Triste coïncidence, la création de la pièce - mise en scène de Caitlin McLeod - en est contemporaine en mai 2011, au Finborough Theater à Londres.

Les deux couples féminins convoqués sur la scène, entre passé et présent, sont admirables de vie - conviction intime et attention accordée à l’autre. Sarah Labrin, pour le rôle de Jamie dans le passé et Juliette Speck pour le présent, dispensent la dimension d’une sagesse personnelle intériorisée.

Quant à leur double, à la fois plus lumineux et insaisissable, en même temps que plus fragile, il est tout autant emblématique d’une geste existentielle : Morgane Real pour le rôle de Dee dans le passé, et Roxanne Roux pour celui de Dee dans le présent, dessinent des figures légères, mobiles et changeantes.

Les duos féminins se répondent l’un l’autre dans un jeu de quatre coins, où chacune réplique à son double, en alternance, incertaine et instable d’un côté, décidée et terrienne de l’autre.

Et moi et le silence de Naomi Wallace, traduction de Dominique Hollier, mise en scène de René Loyon. Avec Sarah Labrin, Morgane Real, Roxanne Roux, Juliette Speck. Dramaturgie Laurence Campet, scénographie Nicolas Sire, lumières Laurent Castaingt, costumes Nathalie Martela, musique Aguirre.
Spectacle vu le 19 mars, Théâtre de l’Epée de Bois - Cartoucherie 75012 Paris. Du 29 mars au 3 avril 2022, Les Célestins - Théâtre de Lyon - 69000 (Rhône).
Crédit photo : Nathalie Hervieux

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Véronique Hotte

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