Dom juan ou le festin de pierre de Molière
La domination dans tous ses états
Mettre en scène Molière est une première pour David Bobée, le directeur du Théâtre du Nord. Son choix s’est porté sur Dom Juan cette pièce sulfureuse écrite en 1665 qu’il qualifie de « sublime ». Malgré ses qualités, son originalité et son triomphe, Molière ne put la jouer que quinze fois. Dès sa première représentation, ce Dom Juan est attaqué par les dévots. Et un pamphlet anonyme menace ainsi l’auteur :
De quoi se divertir à grands coups d’étrivière
Qu’on le jette lié au fond de la rivière
Avec tous ces impies compagnons d’Arlequin,
Qu’on le traite en un mot comme un dernier coquin,
Que ses yeux pour toujours soient privés de lumière.
La pièce, cette belle au bois dormant ne fut réveillée qu’en... 1947 par la grâce de Louis Jouvet. Près de trois siècles d’oubli pour ce chef d’œuvre !
Avec ce texte emblématique, David Bobée veut poursuivre sa « revisitation des grandes figures littéraires, historiques ou mythologiques afin d’écouter ce qu’elles ont encore à nous apprendre. » Ce choix n’est pas un hasard car « chaque scène représente quelque chose contre lequel je me bats depuis toujours [...] Dom Juan y est, tour à tour, classiste, sexiste, glottophobe, dominateur » remarque -t-il dans ses notes d’intention. « Tous les endroits de la discrimination contemporaine se trouve dans ce récit. Molière met un effet de loupe sur la violence d’un personnage principal qui, plus qu’un héros, est un être au sommet d’une pyramide de domination » précise-t-il.
C’est au cœur d’un impressionnant cimetière d’immenses statues à la renverse que Dom Juan, ce « grand seigneur, méchant homme », exprime son désir inassouvi de puissance. Les représentations de ces « héros » et dieux oubliés, mis à bas, renvoient aux drames de notre époque. Il en est ainsi avec la sublime statue tutélaire d’Illisssos, ce dieu grec des cours d’eau, aujourd’hui taris. Et puis, à côté de bustes rongés par le temps, qui recomposent l’image des dictateurs de notre histoire, trône celle du Commandeur.
Cette nécropole où s’entasse la représentation de nos idéologies mortifères, David Bobée en fait un des acteurs majeurs du drame. Enserrant l’action, ce cimetière des illusions nous rappelle que les civilisations et les idéologies meurent aussi.
La course vers l’abîme de Dom Juan est magnifiquement interprétée par Radouan Leflahi qui compose un personnage de séducteur habité d’une rage contenue mutant en un instant en violence dévastatrice. Habituellement Dom Juan est d’une rouerie moqueuse dans la scène où Monsieur Dimanche vient réclamer son dû. Incarné par Radouan Leflahi, le personnage se transforme en un manipulateur terrifiant. L’acteur campe avec justesse cet étrange et complexe athée, poing constamment dressé contre le Ciel, qui rejette avec arrogance tous les impératifs de la morale.
Sganarelle est l’autre personnage clé de la pièce. Cet homme du peuple, indissociable contre-point de l’aristocrate Dom Juan, est interprété avec talent par Shade Hardy Garvey Moungondo. Ce jeune comédien d’origine congolaise (il a 23 ans) sait utiliser à plein les ressorts jouissifs de la comedia dell’arte, sans tomber dans la farce. Molière qui jouait le rôle devait, au contraire, s’en donner à cœur joie, tant l’excès plaisait alors au public.
Parfois David Bobée laisse libre cours à son imagination et profite de la présence de deux acteurs-danseurs d’origine chinoise pour ouvrir la pièce à la musique du mandarin. Xiao Yi Liu et Jin Xuan Mao, qui jouent un couple de paysans, Charlotte et Pierrot, dialoguent passant d’une langue à l’autre, apportant une touche d’universalité à cette brillante représentation.
Il revisite le célèbre monologue d’ouverture sur le tabac de Sganarelle qui devient une apologie du théâtre si l’on remplace un mot par un autre, comme s’il y avait là un sens caché à décoder.
David Bobée a réussi sa première exploration en eaux profondes de l’œuvre du grand Molière.
Dom Juan ou le festin de pierre de Molière. Mise en scène et adaptation : David Bobée. Avec Nadège Cathelineau, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Xiao Yi Liu, Jin Xuan Mao, Grégori Miège, Shade Hardy Garvey Moungondo, Nine d’Urso, Orlande Zola.
Scénographie : David Bobée et Léa Jézéquel. Lumière : Stéphane Babi Aubert. Vidéo:Wojtek Doroszuk. Musique : Jean-Noël Françoise. Costumes : Alexandra Charles. Construction décor : Les ateliers du Théâtre du Nord. Assistant à la mise en scène : Sophie Colleu, Grégori Miège. A Lille, Théâtre du Nord du 17 au 29 janvier 2023.
© Arnaud Bertereau
Tournée
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Equinoxe. Chateauroux. 8 et 9 février 2023
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Le Phénix. Valenciennes. 6 et 7 Avril 2023.
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La Filature.Mulhouse.4 et 5 Mai 2023.
La Coursive. La Rochelle. 7 et 8 Juin 2023.