Dissonances et transcendance

Le Quatuor Les Dissonances fait se rencontrer Mozart, Schubert et Webern à l’Opéra Comique.

Dissonances et transcendance

Il existait de puissants liens d’amitié entre Schoenberg et ses deux disciples, Berg et Webern ; les musiciens de cet autre groupe beaucoup moins formel qu’on appelle la première École de Vienne (qui est en réalité une invention d’historiens de la musique) étaient moins liés par des sentiments que par un style commun, sauf si l’on rappelle l’affection filiale qui unissait Haydn et Mozart. Beethoven prit quelques leçons avec Haydn, certes, mais il ne fut jamais l’intime de Mozart. Et Schubert mourut d’admiration pour Beethoven sans avoir jamais osé l’approcher. De même qu’il y a des amours que l’éloignement ne peut jamais altérer, qu’il peut même conforter au contraire, de même il y a des affinités admiratives éprouvées dans la seule distance.

Les musiciens du Quatuor Les Dissonances ont souhaité cependant réunir trois des compositeurs précités de manière à montrer comment la seconde École de Vienne fut, d’une certaine manière, l’héritière de la première. C’est ainsi qu’au concert donné à l’Opéra Comique, le 6 mai dernier, il fut choisi de faire s’enchaîner directement le Quatuor K 465 de Mozart avec les 6 Bagatelles op. 9 de Webern. A vrai dire, ces Bagatelles sont tellement insaisissables dans leur concision, tellement furtives comme des ombres, que le premier mouvement du quatuor de Mozart vient presque naturellement à leur suite comme la queue d’une comète énigmatiquement éparpillée. Mais il y a aussi une violence dans ce quatuor dit « Les Dissonances » qui se moque de la poudre dont on recouvre les perruques. On est ici dans la poursuite acharnée de la forme, avec un Andante cantabile qui, comme son nom l’indique (andante signifie « en marchant »), n’a rien d’un mouvement lent et tout d’une quête intime.

L’écho après l’ombre

La seconde partie de la soirée permettait d’entendre le célèbre Quatuor « La jeune fille et la mort » de Schubert. On aurait aimé qu’elle commençât par le Langsamer Satz de Webern qui, joué immédiatement après le quatuor de Mozart, prend l’allure d’un postlude et perd de sa nécessité, tout en altérant la composition même du concert. Il n’empêche, ce mouvement lent d’une seule et ardente coulée, qu’on peut entendre comme l’écho du sextuor La Nuit transfigurée de Schoenberg, est un splendide témoignage du premier Webern, celui qui n’a pas encore rompu avec la tonalité, celui qui est encore tenté par tous les élans et toutes les passions lyriquement exprimées.

On a parlé de poursuite à propos de Mozart. Dans « La jeune fille et la mort », tout à coup, la musique devient haletante, et on sent que la mort va vite. Les gémissements du premier violon dans la première variation du mouvement lent, le galop éperdu qui empoigne le finale, tout est dit sur le mode de la supplication et de l’urgence.

Le Quatuor Les Dissonances joue cette musique avec un bel engagement. Il faut cependant rappeler qu’il ne s’agit pas là d’une formation constituée mais d’un ensemble de quatre solistes qui se réunissent périodiquement pour le bonheur de faire de la musique de chambre, sachant que David Grimal, le premier violon, est aussi le fondateur d’un orchestre qui porte le même nom (et qui est en résidence à l’Opéra de Dijon). D’où l’impression que chacun, surtout chacun des deux violons, apporte son style ; les couleurs se mêlent mais ne se dissolvent pas. Ainsi Hans Peter Hofmann a-t-il une sonorité plus chaleureuse, plus ronde, moins métalliquement incisive que David Grimal. C’est lui le plus passionné des quatre, ce qui n’empêche pas David Gaillard de faire entendre la matière même de l’alto, ni Xavier Phillips de creuser des abîmes avec son violoncelle et de griffer d’inquiétude tout ce qu’il y a de transcendant chez Schubert.

illustration : le Quatuor Les Dissonances (photo Gilles Abegg)

Webern : 6 Bagatelles op. 9, Langsamer Satz – Mozart : Quatuor K 465 « Les Dissonances » - Schubert : Quatuor n° 14 « La jeune fille et la mort ». Quatuor Les Dissonances. Opéra Comique, 6 mai 2015.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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