Disparition de Yves Collet

La mort d’un grand scénographe

Disparition de Yves Collet

Le scénographe Yves Collet vient de mourir, âgé de 69 ans. C’était une personnalité originale et secrète qui ne cherchait pas à imposer massivement une marque de fabrique mais à s’adapter différemment à chaque enjeu que lui propose un metteur en scène. Les grands spectacles d’Emmanuel Demarcy-Mota, Six Personnages en quête d’auteur (prix de la Critique pour la scénographie et les lumières, justement !, en 2014 ), Rhinocéros, Casimir et Caroline, les deux Bouli de Melquiot, Les Sorcières de Salem, pour ne citer qu’eux, c’est lui qui en fut l’ordonnateur esthétique, lui qui en dessiné l’espace, les volumes, les formes, les couleurs, la circulation.

La ville de Tours l’a vu débuter très tôt. A l’époque, c’est l’effervescence des grandes mises en cause esthétiques et politiques. Yves a un frère, Patrick, qui a fondé le théâtre de l’Utopie. Chargé du décor pour un spectacle tiré de Maïakovski, La viande rouge (tout un programme ! ), le jeune homme construit un univers délirant et tient même un rôle ! Ensuite, il ne sera plus que scénographe, après avoir renoncé à ses études d’architecture. Il a une grande passion pour bien des peintres et fréquente l’avant-garde théâtrale portée par des gens comme Roger Blin, Victor Garcia et Michel Raffaëlli. Il ne va plus cesser de travailler pour différentes compagnies. A présent, il a derrière lui trente ans de bons et inventifs services, auprès de Demarcy-Mota, Valère Novarina, Adel Akim, Elisabeth Chailloux, Claude Buchvald, Brigitte Jaques-Wajeman…

En fait, il y a un style Collet, mais il ne se voit pas car il se fond dans le désir du metteur en scène et sert subtilement la vision du maître d’œuvre. Ce style passe par le goût de matériaux mobiles (la terre, parfois des objets de récupération), de choses immatérielles comme les transparences, les images en 3 D et le dialogue avec la lumière, et même une rare utilisation de la vidéo. « Tout doit faire théâtre et non cinéma », dit-il. Pour lui, qui fait souvent bouger le traditionnel dispositif frontal, il n’y a pas de scénographie sans réflexion sur la place du public.

Chacune de ses collaborations commence par de longues discussions avec le metteur en scène. Son premier travail avec Emmanuel Demarcy-Mota s’est fait autour de Peines d’amour perdues de Shakespeare. Ils ne sont pratiquement plus quittés. « J’aime beaucoup l’ouvert d’Emmanuel Demarcy-Mota, dit-il. Lui aussi est passionné par la place du public. Nous parlons beaucoup. Rien n’est fixe avec lui, tant qu’on est dans la phase d’élaboration. Je pars du vide et d’un détail. Jamais de la globalité. Tout avance par ricochets à partir de nos discussions. J’aime la formule de Giacometti : défaire pour refaire. Tout évolue. Je dessine. Je fais un story-board pour chaque scène et je passe très vite à la maquette, aux volumes. Je mets un point d’honneur à livrer le décor le jour de la première répétition. Ainsi on met tous les éléments à l’épreuve. Cela ne me gêne pas du tout de faire disparaître un morceau du décor auquel on croyait tenir beaucoup ! Je hais ce qui ne sert à rien. »
Graphiste de l’espace, Yves Collet traçait le visible et l’invisible dans la fulgurance du bricolage et du dessin des lignes.

Entretien avec Yves Collet, 2004.
« Défaire pour refaire »

« Le travail d’un scénographe doit servir la vision du maître d’œuvre. Mon style passe souvent par le goût de matériaux mobiles (la terre, parfois des objets de récupération), de choses immatérielles comme les transparences, les images en 3 D et le dialogue avec la lumière, et même une rare utilisation de la vidéo. Tout doit faire théâtre et non cinéma. Et il n’y a pas de scénographie sans réflexion sur la place du public !
Je pars du vide et d’un détail. Jamais de la globalité. Tout avance par ricochets à partir des discussions avec le metteur en scène. J’aime la formule de Giacometti : défaire pour refaire. Tout évolue. Je dessine. Je fais un story-board pour chaque scène et je passe très vite à la maquette, aux volumes. Je mets un point d’honneur à livrer le décor le jour de la première répétition. Ainsi on met tous les éléments à l’épreuve. Je hais ce qui ne sert à rien. Je vise à l’épure et à un espace à la fois habité et libéré.
En créant la scénographie de Rhinocéros de Ionesco pour Emmanuel Demarcy-Motta, je me suis fixé deux objectifs. D’abord créer un vaste espace en complète mobilité, privé de couleurs, où la ville est suggérée et où le lieu de travail est secoué comme par un tremblement de terre, en passant progressivement de la normalité au vertige, aux frontières de la comédie et de la tragédie. Ensuite ne pas représenter les rhinocéros mais les évoquer de façon non-réaliste par l’intégration d’images virtuelles proches de l’abstraction et à interpréter par le spectateur. Je poursuivais ainsi mon travail sur la perception qui est au cœur de mes recherches. Qu’est-ce que je vois ? Est-ce que je rêve ? Est-ce que j’ai rêvé ? Le public doit se poser ces questions. Je refuse le monumental et préfère l’insaisissable ».

Photo : Emmanuel Demarcy-Mota et Yves Collet travaillant autour des Fantômes de Naples au Louvre, juillet 2023. Photo Nadège Le Lezec.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook