Dialogue sur le théâtre français, inter/dits de scènes de Roger-Daniel Bensky et Gilles Costaz.
Correspondance transatlantique par temps de confinement
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- 8 août 2021
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La correspondance épistolaire est un genre à part entière, un exercice d’intelligence à deux. On connaît de nombreuses correspondances littéraires entre écrivains telles celles de Flaubert et Louise Colet, ou André Gide et Paul Valéry, Blaise Cendrars et Henry Miller, ou encore Henry James et Paul Louis Stevenson qui s’interrogèrent durant dix ans de débat sur la question de l’essence de la fiction. Les épistoliers sont des amoureux, des artistes, des philosophes, des politiques, mais rarement des universitaires ou des journalistes.
La correspondance née par courriels au début du confinement 2020 entre le journaliste français Gilles Costaz et l’universitaire américain, australien de naissance, Roger-Daniel Bensky n’avait rien de prémédité, juste le plaisir intellectuel d’échanger des points de vue sur le théâtre français entre deux spécialistes passionnés qui s’était rencontrés quelque temps auparavant à l’occasion d’un anti-colloque consacré à Jacques Audiberti qui aura présidé à cette entreprise spontanée.
Gilles Costaz est critique de théâtre depuis quelques décennies (entre autres, Politis, Les Echos, Le Masque et la plume, l’Avant-scène, Théâtral magazine), il a récemment signé un essai sur le metteur en scène et directeur de théâtre Daniel Benoin (La Modernité en scène, L’avant-scène théâtre, 2021), mais il est aussi auteur de plusieurs pièces dont certaines ont été jouées (Le Crayon, Retour à Pétersbourg, L’île de Venus). Bensky, professeur d’études françaises et théâtrales à l’université de Georgetown à Washington, est aussi metteur en scène, dramaturge et comédien. Il a publié Le Masque foudroyé, une étude sur les tendances émergentes du théâtre contemporain de langue française.
Deux pointures, deux spécialistes qui réfléchissent à la question théâtrale avec deux points de vue très différents, ce qui rend leurs échanges foisonnants, alertes, stimulants. Probablement par déformation professionnelle de l’enseignant, Bensky, remarquablement érudit, est volontiers didactique, voire abstrait, parfois abscons (à propos d’un livre d’Enzo Corman, il parle de « multilogues internes par méta-références philosophiques et sociologiques interposées », ou énonce le principe obscur de « diffluence »), alors que Costaz, chroniqueur dans l’âme, comme il se qualifie lui-même : « je ne sais sur quel sujet répondre et surtout si j’en suis capable, mon esprit de chronique s’attachant sans doute plus au goût des choses qu’à leur sens. »). Mais il ne faut pas se laisser bercer par cette modestie, le chroniqueur est aussi fin analyste qui a toujours une anecdote à raconter pour donner à voir, à entendre, à ressentir. Ainsi les deux amis se complètent admirablement, convoquant tour à tour leurs souvenirs personnels pour réactiver le dialogue.
Au fil de l’inspiration, les sujets abordés s’avèrent des plus variés, parfois juste survolés, parfois approfondis. L’un rebondit sur les propos de l’autre ou passant du coq à l’âne, déclenche des revirements inattendus qui relancent le dialogue. Les échanges, toujours empreints de marques d’amitié, restent au plus près de l’actualité, celle du décès de l’historien du théâtre Christian Biet, comme celle de la mort de George Lloyd à Minneapolis, étouffé par un policier, ils s’ancrent dans le présent du confinement, de la « distanciation sociale » et des inquiétudes quant à l’avenir du théâtre (« le smartphone aura-t-il la peau d’Epidaure », s’inquiète Gilles Costaz).
La profusion d’artistes évoqués impose de n’en citer aucun. Préfacée avec talent par Xavier Durringer, cette correspondance électronique, peut-être la première du genre, est une déclaration d’amour au théâtre.
Dialogue sur le théâtre français, inter/dits de scènes de Roger-Daniel Bensky et Gilles Costaz. Tertium éditions. 187 pages. 14,90€