Nancy – Opéra National de Lorraine jusqu’au 28 juin 2013

Der Zwerg – Le Nain de Alexander von Zemlinsky

En solitude, le chef d’oeuvre de Zemlinsky grimpe au sommet.

Der Zwerg – Le Nain de Alexander von Zemlinsky

Avec sa manifestation intitulée Renaissance Nancy 2013, la capitale de Lorraine célèbre quelques pages majeures de son histoire et fait rutiler la ville d’expositions et de parcours. Au centre de sa place Stanislas, l’une des plus belles du monde, la statue de Stanislas Leszczynski dit « le Bienfaisant » continue de veiller. Celui qui fut roi de Pologne puis duc de Lorraine et de Bar possédait entre autres richesses, un nain.

Coïncidence tout à fait involontaire, l’Opéra National de Lorraine, dans le bel édifice qui l’abrite sur la place, affiche Der Zwerg – Le Nain, chef d’œuvre bouleversant de ce compositeur à la fois génial et sacrifié que fut Alexander von Zemlinsky (1871-1942).

Ce n’est pas la première fois que Laurent Spielmann, directeur de cette dynamique maison d’opéra, lui rend hommage. Der König Kaudales –Le Roi Kaudale et La Tragédie Florentine, deux de ses huit opéras y ont déjà été représentés (voir WT des 2 février et 20 septembre 2006). La beauté et l’émotion de ce Nain les couronne avec bonheur.

Alexander von Zemlinsky, professeur puis beau-frère de Schönberg, auteur prolixe – opéras, symphonies, œuvres chorales, musiques de chambre - fut aussi l’un des plus brillants chefs d’orchestre de son temps, créant, entre autres le célèbre Erwartung de Schönberg. Comme tant d’autres, parce que juif, il fut classé « entartet » (dégénéré) par le régime nazi, choisit l’exil dans la banlieue de New York où il mourut dans la misère en 1942. On mit longtemps à le redécouvrir. Der Zwerg, créé en 1922 à Cologne attendit l’an 2001 pour entrer au répertoire de l’Opéra National de Paris ; où il fut repris au début 2013 (voir WT du 28 janvier 2013). Il y était associé à L’enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel. Un doublé que l’Opéra de Lyon adopta dans une production maison en 2012 (voir WT du 29 mai 2012).

A Nancy, hors du contexte des méchants jeux d’enfants, il apparaît seul, d’autant plus humain d’autant plus tragique, et se suffit largement à lui-même. Une heure trente de musique toujours tonale – Zemlinsky défendit mais n’adhéra pas au sérialisme initié par son élève et développé par l’Ecole de Vienne – mais d’une stupéfiante modernité. Si la couleur dominante relève d’un certain post-wagnérisme, on y trouve par bribes des parentés avec Brahms, Richard Strauss, Mahler et même Alban Berg dont il fut l’ami. Romantisme rutilant, violence, sensualité, déchirements et ruptures : la tragédie de cet étrange autoportrait remue les tripes.

Zemlinsky y avait inscrit une page noire de sa vie. A l’âge de18 ans Alma Schindler fut son élève et il en tomba follement amoureux. Mais elle se moquait de la passion de cet homme qu’elle qualifiait de « gnome hideux » et lui préféra Mahler dont elle devint l’épouse. La blessure de Zemlinsky ne se referma jamais. Est-ce pour en exorciser les plaies qu’il décida de les convertir en musique ? Oscar Wilde dont il s’était déjà inspiré en 1910 pour Une Tragédie Florentine lui en fournit la trame dans son conte intitulé l’Anniversaire de l’Infante. Une tragédie qui pouvait faire écho à la sienne. Dans la cour d’une Espagne imaginaire on s’apprête à fêter les 18 ans de l’Infante. Parmi le monceau de cadeaux dont on l’abreuve figure un nain. Un nain poète et troubadour qui ignore tout de sa disgrâce car il n’a jamais vu son reflet dans un miroir. L’Infante en fait son jouet, il s’éprend de la belle, elle fait semblant de lui rendre son amour, lui offre une rose, danse avec lui… Puis le rejette, et, pour expliquer son désaveu lui tend ce miroir diabolique qui lui révèle son infortune. Elle en rit. Il en meurt.

Philipp Himmelmann, metteur en scène allemand qui avait déjà signé à Nancy des réalisations qui ont fait date – La Ville MorteGrandeur et décadence de la ville de Mahagonny, notamment – porte le douloureux chef d’œuvre de Zemlinsky à un niveau encore jamais atteint. Réalisme et onirisme du décor (Raimund Bauer) où l’élégance d’un salon gris et blanc s’allie à un tableau géant – un paysage champêtre à la Caspar Friedrich – qui se métamorphose à vue, en tableaux mouvants, images filantes, aire de jeux où l’infante joue à la balançoire avec la petite meute de ses demoiselles de compagnie. La direction d’acteur est tracée au cordeau des sentiments. Jusqu’aux plus petits rôles et aux danseurs acrobates chacun habite son personnage : Autorité bougonne de la basse Oleg Bryjak en majordome organisateur et surveillant des festivités, pudeur et retenue de la soprano allemande Eléonore Marguerre en Ghita, la suivante qui prend pitié du nain sans oser exprimer son empathie. Helena Juntunen, soprano finlandaise déjà remarquée à Nancy dans La Ville Morte et dans Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, compose une ahurissante infante, petit chat méchant et bondissant, poussant ses aigus comme des coups de griffes et ses rires comme des grelots de verre. C’est des Etats-Unis d’Amérique que vient le ténor Eric Fenton, un nain au jeu tendu et au timbre d’eau claire qui se brise et s’éclate dans le désespoir. Les genoux chaussés de bottillons, il se déplace à mi-hauteur pourrait-on dire, les jambes cachées sous la cape d’un costume échappé d’une toile de Velasquez.

A la tête de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy en grande forme, le viennois Christian Arming fait siennes les mortifications, amertumes, colères, épanchements de la musique de Zemlinsky. Elles frissonnent, grimpent, explosent, soupirent. L’émotion est palpable dans la salle. Au baisser de rideau, un moment de silence recueilli précède la salve des applaudissements.

Der Zwerg – Le Nain d’Alexander von Zemlinsky, livret de George Klaren d’après L’anniversaire de l’Infante d’Oscar Wilde, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, chœur des femmes de l’Opéra National de Lorraine, direction Christian Arming, mise en scène Philipp Himmelmann, décors Raimund Bauer, costumes Bettina Walter, lumières Gérard Cleven, création perruques et maquillages Cécile Kretschmar. Avec Eric Fenton, Helena Juntunen, Eléonore Marguerre, Oleg Bryjak, Yuree Jang, Olga Privalova, Aude Extrémo, Eléna Le Fur, Catherine Lafont. Et les acrobates Héloïse Delbard, Jérémie Duval, Cédric Pinheiro Gomez, Martin Lallemant, Maxime Perrotin, Diane Vaicle .

Nancy – Opéra national de Lorraine les 21, 25, 27 et 29 juin à 20h, le 23 juin à 15h

03 83 85 30 60 – www.opera-national-lorraine.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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