Critique – Opéra-Classique

DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG (Les maîtres chanteurs de Nuremberg) de Richard Wagner

Quand Hans Sachs retombe en enfance et s’enivre de la musique de Wagner

 DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG (Les maîtres chanteurs de Nuremberg) de Richard Wagner

On ne les avait plus vus à l’Opéra National de Paris depuis 1989 dans une production très politisée de Herbert Wernicke. On s’était contenté de les entendre lors d’une unique version de concert dirigée par James Conlon en 2003. Stéphane Lissner vient de les remettre sur l’orbite de l’Opéra Bastille. Il aime ces Maîtres Chanteurs de Nuremberg, il les avait autrefois conviés au Châtelet dans une mise en scène abstraite (et contestée) de Claude Regy.

Pour leur retour attendu au répertoire de sa maison, Lissner présente une réalisation coproduite avec le Festival de Salzbourg en 2013. Signée par le metteur en scène norvégien Stefan Herheim elle ne contrariera personne. La bonne humeur y est de règle jusqu’à la caricature et elle lui va plutôt bien au teint. La magnificence de l’orchestre dirigé par Philippe Jordan, et une distribution sans faute en font un divertissement très long (5h30) mais bon enfant.

Une parenthèse joyeuse

Ces Maîtres Chanteurs sont il est vrai une souriante exception dans l’œuvre de Wagner. Une page à part qui exigea 22 années de maturation, entre 1845 et 1867, de Lohengrin à Tristan und Isolde. Une parenthèse joyeuse tournant le dos aux dieux et aux mythes.. On y croise Pogner, un orfèvre qui promet sa fille Eva au vainqueur d’un concours de chant organisé par la guilde des maîtres chanteurs de la ville. Un chevalier venu d’ailleurs passe par là. Coup de foudre au premier regard. Et course poursuite musicale entre l’élu du cœur et le méchant greffier Beckmesser qui convoite la belle. Avec pour arbitre le cordonnier-poète Hans Sachs qui orchestre le happy end de la comédie. Une comédie bourgeoise en quelque sorte, mais pas seulement. Sous ses dehors bouffons, elle trace un parcours initiatique sur la création artistique, sur la nécessité de son renouvellement. C’est l’éternel combat des anciens contre les modernes qui ici aboutit à la glorification de l’art allemand. Hitler en fit son opéra fétiche. Beckmesser était alors représenté sous les traits du juif Süss.

Joutes musicales et rêves d’enfance

Stefan Herheim tourne le dos aux allusions politiques et fait entrer les joutes musicales et amoureuses dans les rêves d’enfance. Dès le prélude – enchanté par la direction aérienne de Jordan - un homme en chemise et bonnet de nuit erre en extase entre les meubles Biedermeier de son « so gemütliches » logis. Hans Sachs, le cordonnier, poète et maître chanteur se régale d’entendre la musique de son maître (ou alter ego ?) Wagner dont il bichonne le buste. Dans un coin de son atelier, au milieu de ses jouets de gamin, il a construit un théâtre dont il actionne les marionnettes. Elles surgiront un acte plus tard en poupées géantes échappées de contes de Grimm, Chaperon Rouge et Méchant Loup, Blanche Neige et sept Nains, Cendrillon, Hänsel und Gretl, défilent, valsent, font les pitres. C’est une nuit de la Saint Jean où le monde se retourne, les meubles deviennent géants, les livres ont la taille de murailles, les individus sont miniaturisés. Effets de projections, éclairages calculés, les illusions d’optique se succèdent. Malgré le déploiement d’images en ricochets, le premier acte se traîne un rien, la deuxième prend du souffle et le troisième enfin s’épanouit entraînant son petit monde (et les spectateurs) vers la conclusion heureuse. C’est naïf, sans détour dans les interrogations métaphysiques. Pourquoi pas ?

Chanteurs et choristes sont en mouvements constants. On aimerait ici ou là stopper leurs gesticulations pour mieux se concentrer et entendre ce qu’ils chantent si bien. Gerald Finley, baryton basse canadien incarne Sachs d’une voix chaleureuse et une présence sympathique, très remuante. Bo Skovhus n’a toujours pas retrouvé les velours de son timbre de baryton mais il transforme avec humour le vilain Beckmesser en clown agité de tics. Impeccable legato de la basse Günther Groissböck en Pogner père de famille et mécène, le chevalier par le ténor Brandon Jovanovitch, a la voix claire et un jeu figé d’image d’Epinal, Toby Spencer apporte à l’apprenti David une fragilité pleine fraîcheur. Lumineuse Eva de Julia Kleiter et Magdalena toute en rondeurs de Wiebke Lehmkuhl.

Choeur et orchestre : véritables vedettes

Les véritables vedettes de la production restent cependant le chœur omniprésent, admirablement dirigé et mis en place par Jose Luis Basso et l’orchestre que Philippe Jordan, wagnérien rodé et inspiré – son Ring, son Tristan restent inoubliables – dirige en légèreté inspirée. Les effets de massue sont laissés aux archives, il leur substitue la lumière, la gaieté, l’amitié.

Die Meistersinger von Nürnberg/ Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, musique et livret de Richard Wagner. Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan, chef de chœur Jose Luis Basso, mise en scène Stefan Herheim, décors Heike Scheele, costume Gesine Völlm, lumières Olaf Freese. Avec, dans les rôles principaux Gerald Finley, Günther Groissböck, Bo Skovhus, Brandon Jovanovitch, Toby Spence, Julia Kleiter, Wiebke Lehmkuhl, Michael Kraus, Robert Wörle….

Opéra Bastille, les 1er, 5, 9, 21, 25, 28 mars à 17h30, le 13 à 14h.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

Photos Vincent Pontet – Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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