Clelia Cafiero : « Cette Tosca m’a obligée à un travail d’ingénieur du son »

Angers Nantes Opéra a bouclé sa saison avec sept représentations de Tosca, à Angers puis à Nantes. Avant une conclusion à Rennes, Webtheatre s’entretient avec Clelia Cafiero, à qui est confiée la direction d’orchestre.

Clelia Cafiero : « Cette Tosca m'a obligée à un travail d'ingénieur du son »

Clelia Cafiero, vous êtes à la manœuvre à Angers, Nantes et Rennes, en compagnie de Silvia Paoli à la mise en scène, à l’occasion de Tosca. Comment avez-vous abordé cette collaboration ?
Nous avons développé avec Silvia une belle complicité, bien que nous ayons toutes les deux des tempéraments rudes et des idées. Nous nous sommes écoutées et dit les choses, notre collaboration a été fructueuse !

Comment vivez-vous cette aventure Tosca dans l’Ouest de la France ?
Je dois dire que le début a été difficile, j’ai souffert de cette réduction d’orchestre (ndlr : une adaptation pour orchestre de chambre de Riccardo Burato). Avec si peu de cuivres et de cordes, il a été difficile de se rapprocher du son de Puccini, qui est un symphoniste, avec beaucoup de vibrato, de passion, de respirations. Comment soutenir les voix avec cet orchestre réduit ? Comment restituer les accords de Scarpia, au tout début, avec quatre cuivres, contre dix d’habitude ? J’ai dû travailler pour trouver une juste balance entre l’acoustique de la salle, les voix, la fosse…

D’autant que vous dirigez cette Tosca dans trois salles différentes…
Exactement, par exemple, le Théâtre d’Angers est plus petit, avec une fosse plus profonde. Il y a donc eu beaucoup de changements dans les dynamiques, j’ai voulu réécrire l’acoustique, en passant du temps dans la salle, en faisant presque un travail d’ingénieur du son, pour être fidèle à Puccini, qui composait avec une vraie volonté de spatialisation du son. J’ai la chance d’avoir avec moi des musiciens très engagés, qui veulent faire bien.

Comment avez-vous guidé les chanteurs, et notamment ce trio remarquable, Tosca, Mario et Scarpia ?
Je ne crois pas que l’on puisse parler d’un trio entre trois personnages, mais plutôt d’un duo Tosca-Scarpia, avec un Mario à part, qui est peut-être simplement une allégorie de l’amour. En tout cas, les deux duos (ndlr : Tosca et Mario Cavaradossi étaient interprétés par deux tandems, Myrto Papatanasiu-Andeka Gorrotxategi, Izabela Matula-Samuele Simoncini) ont bien fonctionné, animés par le Scarpia de Stefano Meo. Tout le monde est arrivé avec ses idées, j’ai simplement tâché d’unifier le tout ! Sur le plan musical, je suis de l’école italienne : ce qui change, c’est l’intention dans la voix. J’accorde une importance particulière à la prononciation des mots, qui doit changer suivant que vous voulez exprimer l’amour, la rage, la peine…

Trouvez-vous à Tosca des résonances contemporaines ?
Oui, je le pense, il y a du #metoo, du féminisme dans cette histoire, non ? Tosca n’a pas les naïvetés des autres héroïnes d’opéra, c’est un personnage fort, toujours protagoniste dans l’histoire. Mais curieusement, elle n’est cette Tosca héroïque qu’avec l’arrivée de Scarpia : la musique change dès qu’elle le rencontre, j’ai voulu le souligner. Tosca est sur un chemin, elle se développe, depuis ce premier acte d’amour, le deuxième de rage et le troisième de courage. J’aime cette histoire, c’est peut-être mon opéra préféré !

Quels sont les compositeurs ou les œuvres dont vous vous sentez le plus proche ?
J’aime beaucoup Puccini. Mais aussi, Donizetti, Rossini, en particulier dans leur versant dramatique. J’aime la musique française, Ravel et Debussy en particulier, et j’espère diriger mon premier Wagner d’ici deux ou trois ans ; pour cette raison, je travaille mon allemand. Je garde toujours en tête ce qu’avait dit un jour Daniel Barenboim : pour interpréter justement sa musique, il faut connaître la langue du compositeur. Il faut entrer dans la musicalité de la langue pour comprendre comment le compositeur pense. Je suis sûre que l’on joue mieux Tchaïkovski quand on parle russe !

Vous êtes d’ailleurs très à l’aise en français…
C’est une langue que j’adore, que j’ai eu la chance de pratiquer pendant des années à Marseille, comme invitée à Tours, ou à Orange pour les Chorégies. La France m’a donné beaucoup de possibilités de diriger et m’a aidé à lancer ma carrière. Il paraissait d’ailleurs plus simple pour une femme de prendre la baguette en France que dans d’autres pays…

Vous insinuez qu’il est difficile d’être une femme chef d’orchestre aujourd’hui ?
Je suis très admirative de celles qui ont commencé leur carrière il y a trente ans, Simone Young ou Nathalie Stutzmann ; c’est aujourd’hui plus facile, les portes s’ouvrent. Mais on est encore loin de la parité : quand on veut faire une carrière, il faut vraiment montrer qu’on a du talent, avoir beaucoup de tempérament et de confiance en soi pour faire face à des personnalités fortes, qui ont parfois des préjugés, par habitude, par culture.

Comment conciliez-vous votre carrière de pianiste et la direction d’orchestre, tant à l’opéra que pour la musique symphonique ?
Je continue le piano bien sûr, et j’essaie de proposer des concertos pour piano, d’où je dirige l’orchestre, Mozart ou Gershwin par exemple. Je crois que l’instrumentiste peut avoir un défaut, à la différence du chant qui est forcément naturel, celui de se laisser emporter par la mécanicité de l’instrument. J’ai parlé un peu plus tôt de mon attention pour les mots dans la musique, il faut conduire la musique avec une intention. Quand je dirige des symphonies, j’essaie toujours de jouer avec des images car il faut interpréter la musique sans les mots que nous offre l’opéra. Sinon, je viens plus de la fosse que de l’estrade, j’aime l’opéra.

Quelles sont les prochaines échéances pour vous ? Une date à Angers Nantes Opéra peut-être ?
Je vais continuer à beaucoup voyager, souvent loin de Milan où je réside. Il y aura la saison prochaine La Périchole à Liège, Lyon, l’Angleterre… Quant à Nantes, nous avons eu des discussions pour une production en 2026, mais je n’en dirai pas plus pour le moment !

Propos recueillis le 31 mai 2024.

Crédit photo : Ciro Simeone

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Quentin Laurens

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