Carmen rayonne au Théâtre impérial

Ce n’est certes pas un hasard si l’opéra-comique de Bizet vient d’être représenté avec brio au Théâtre impérial de Compiègne.

Carmen rayonne au Théâtre impérial

On sait que le Théâtre impérial fut construit sur la volonté de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, née à Grenade et morte à Madrid. On sait aussi que Prosper Mérimée, auteur de la nouvelle dont s’inspirèrent les librettistes de Bizet, était un familier du couple impérial et des fêtes que donnait la cour à Compiègne. Aussi allait-il de soi que le Théâtre impérial accueille un jour une production originale de Carmen, ce qui est chose faite : nouvelle production entièrement pensée pour le lieu, qui donne l’impression d’un spectacle travaillé en profondeur à cent lieues de toute routine. Le fait d’avoir choisi la version originale de l’ouvrage, c’est-à-dire sans les récitatifs d’Ernest Guiraud (qu’on entend il est vrai de moins en moins souvent), est en soi un manifeste : fidélité à Bizet, mais aussi confiance accordée aux interprètes auxquels on demande de passer du chant au dialogue, ce qu’ils font sans difficulté.

Philippe Arlaud n’a pas cherché à faire avouer à l’œuvre, le couteau sous la gorge, ce qu’elle ne veut pas dire. Dans une scénographie très simple, qui préfère l’accessoire choisi au décor étouffant, il fait évoluer ses personnages avec naturel, utilise toute la profondeur de la scène (comme si la partition était l’émanation même du théâtre) mais fait intervenir la plupart du temps les solistes à l’avant-scène, ce qui permet de les entendre au mieux. Sa mise en scène fourmille d’idées, certaines peu convaincantes (Micaëla revenant enceinte au troisième acte), la plupart fort bien trouvées (Carmen dansant avec une orange au deuxième acte), avec peut-être une propension à vouloir à tout prix occuper le plateau par des scènes animées alors qu’on aimerait de temps en temps se concentrer sur le chant seul.

Le parti de Carmen

Mais les chœurs bougent avec intelligence et surtout, c’est là une des grandes trouvailles de ce spectacle, les enfants ne se contentent pas de chanter « La garde montante » : ils sont présents du début à la fin, ils sont des acteurs du drame, ils prennent le parti de Carmen en se moquant des soldats, ils se déplacent toujours dans une espèce d’animation réglée qui ne bride jamais leur spontanéité (bravo Anne-Marie Gros, chargée de leur préparation scénique).

La distribution, entièrement francophone, est à l’image du reste. Marie Lenormand n’est pas une Carmen à la sensualité ordinaire mais se distingue par son élégance, parfois même sa distance ironique face aux situations (son « Frappe-moi donc » est chanté, ce qui n’est pas toujours le cas avec les autres interprètes du rôle). Sophie Marin-Degor, portrait idéal de Micaëla, étonne elle aussi mais par son engagement passionné, notamment au troisième acte, qui fait réellement éclater la détresse du personnage. Pierre Doyen, bellâtre et avantageux comme il se doit, se fait clairement entendre et nous change des barytons pâteux habituels. On retrouve avec plaisir le Zuniga de Jean-Marc Salzmann à la faconde réjouissante, et à vrai dire l’ensemble des rôles secondaires est presque idéalement distribué, si l’on excepte Geneviève de Kermabon, par ailleurs trop présente, qui incarne un Lillas Pastia et un Guide dont la qualité première n’est pas la distinction (ni du geste, ni de la diction).

Des bois et des harpes

On émettra cependant des regrets quant à la prestation de Jean-Pierre Furlan, doté de moyens considérables, d’un timbre chaleureux (et d’un physique rappelant Alain Vanzo), mais dont on attendrait une tout autre délicatesse, notamment dans l’air de la fleur, pris avec une sorte d’indifférence virile ; avec en particulier un « Et j’étais une chose à toi » claironné alors que Bizet a conçu là un moment ineffable qui prend toute son étoffe quand on l’aborde en voix de tête. Prometteur au premier acte, le ténor ne fait pas évoluer son personnage et ses sanglots dans le duo final, face à une Carmen altière et implacable, sont hors de propos.

Le chœur réunit l’Ensemble Aedes et un ensemble de choristes de Picardie qui s’engagent tous sans réserve (leur première intervention au troisième acte est exemplaire), cependant que dans la fosse Benjamin Pionnier dirige un Orchestre de Picardie à la fois coloré, transparent et léger, avec des bois virtuoses et des harpes, pour citer un exemple entre dix, qu’on a rarement entendues aussi présentes dans la Séguédille. Mais pourquoi avoir ajouté entre les troisième et quatrième actes la Danse bohémienne de La jolie fille de Perth  ? Il est vrai que la petite scène parlée entièrement inventée, au début du deuxième acte, qui réunit deux enfants (à la voix bien sûr amplifiée), Zuniga et Don José, n’est pas davantage à sa place. Mais ce sont là réserves mineures si l’on considère la réussite enthousiasmante de l’ensemble.

photo : Carmen et ses admirateurs (France 3)

Bizet : Carmen. Avec Marie Lenormand (Carmen), Jean-Pierre Furlan (Don José), Sophie Marin-Degor (Micaëla), Pierre Doyen (Escamillo), Magali Léger (Frasquita), Carine Séchaye (Mercédès), Lionel Peintre (Le Dancaïre), Rodolphe Briand (Le Remendado), Jean-Marc Salzmann (Zuniga), Benjamin Mayenobe (Moralès), Geneviève de Kermabon (Lillas Pastia, la Guide). Ensemble vocal Aedes, Choristes de Picardie, Chorale Arabesque du Conservatoire de Compiègne, Le Ménestrel Conservatoire de musique de Chantilly et de l’ère cantilienne Orchestre de Picardie, dir. Benjamin Pionnier. Mise en scène & scénographie : Philippe Arlaud. Théâtre impérial de Compiègne, 16 mars 2004 (www.theatre-imperial.com, prochaine représentation : 18 mars).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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