Festival d’Aix-en-Provence 2024 (3)
Butterfly, mélo assumé
L’opéra de Puccini laisse libre cours à l’émotion avec une grande maîtrise.
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- 6 juillet
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Pour d’obscures raisons, Giacomo Puccini n’était pas le musicien favori du Festival d’Aix. Il a fallu attendre l’arrivée à la direction de Pierre Audi pour que le compositeur toscan fasse son entrée dans le saint-des-saints français de l’art lyrique, avec Tosca en 2019. Cet été, pour commémorer le centenaire de la mort du compositeur (1858-1924), le festival accueille l’autre grande héroïne puccinienne, Madama Butterfly. Et fait un triomphe à cette geisha conquise puis délaissée par un officier de marine américaine, au fil d’un mélo musical déroulé en trois actes menant à sa mort inexorable par hara-kiri. Cette troisième nouvelle production de l’édition 2024, qui s’insère dans ce que le chef Daniele Rustioni nomme, dans le programme, une « Puccini renaissance », confirme le sentiment d’un festival de haute tenue.
Impeccable autant qu’implacable, cette « tragédie japonaise » créée en 1904 à la Scala de Milan, donnée au Théâtre de l’Archevêché dans la version révisée par Puccini en 1907, s’avère aussi lacrymogène que maîtrisée. Manifestement très en phase, le trio d’artistes maitres d’œuvre, le chef Daniele Rustioni, la metteuse en scène Andrea Breth, et l’interprète Ermonela Jaho ont lâché la bride à l’émotion sans pour autant céder à la facilité. Ni à l’exotisme de pacotille, encore moins au réalisme de reconstitution.
Fantasme occidental
Le spectacle découvre les ressorts d’une œuvre censée se situer au Japon au tournant du siècle dans la vision qu’en ont les Occidentaux qui n’y ont jamais mis les pieds. À commencer par le compositeur qui n’en connaît que les images, les photographies notamment, montrant les costumes et coutumes d’un pays si étrange. Lesquelles photos loin de représenter des scènes réelles sont des reconstitutions en studio. Le gloubi-boulga culturel d’où est issu l’opéra se révèle dès son titre : MadamA Butterfly alors que la pièce de l’Américain David Belasco, qui a inspiré Puccini et ses librettistes, Illica et Giacosa, s’intitule MadamE Butterfly (1900), elle-même inspirée d’une nouvelle anglaise : Miss Cherry-Blossom of Tokyo !
Fantasme occidental jusque dans sa musique, intégrant dans ses harmonies des éléments japonisants stylisés, c’est ce que montre avec délicatesse le chef qui ne force jamais le trait et se garde de toute complaisance et de tout sentimentalisme. Déjà à l’œuvre pour la Tosca d’Aix 2019 avec l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni, spécialiste du répertoire, ne monte pas le volume orchestral, ce qui surprend et déçoit un peu au premier acte, il faut bien le dire. Mais cela mais s’avère probant par la suite. Notamment dans l’interlude purement orchestral entre les deux derniers actes où se déploie la richesse d’un tapis musical extrêmement raffiné avec des cordes très délicates. Cela n’empêche pas l’intensité musicale de monter crescendo jusqu’à la séquence finale où la malheureuse geisha se voit enlever son enfant par l’Américain Pinkerton qui a la cruauté de revenir trois ans après leur seule et unique nuit d’amour, flanqué de son épouse.
Inquiétante étrangeté
Très fine également la mise en scène d’Andrea Breth, de retour au festival après une Salomé de choc en 2022. Reprenant les codes de la gestuelle japonaise, elle les pousse à l’extrême : les personnages font leur entrée immobiles sur un tapis roulant qui fait le tour de la scène, tels des statues qui se mettent très lentement en mouvement, ce qui crée une impression saisissante. Conforme aux clichés aussi, le cadre unique dans lequel se déroule le drame : une maison japonaise largement ouverte sur l’extérieur avec ses paravents et ses parois coulissantes éclairées par des lumières subtiles. Mais les masques de théâtre japonais inquiétants qui apparaissent aux moments cruciaux viennent troubler l’harmonie de façade. De même les grands oiseaux aux ailes actionnées par des marionnettistes qui traversent lentement l’espace scénique, devant ou derrière la maison, contribuent à l’impression d’inquiétante étrangeté.
Conformes à l’imagerie traditionnelle également, les costumes : costume-cravate pour les Occidentaux, kimono pour Butterfly (nommée Cio-Cio-San) et sa servante Suzuki. Et tenues d’apparat pour les Japonais, dont le riche prétendant qui harcèle la geisha sans jamais la faire fléchir ou le bonze qui l’exclut de la communauté, devenue une étrangère par son mariage et son apostasie. Mais dans la séquence centrale où Cio-Cio-San réclame sa robe de mariée pour accueillir le retour de son mari qu’elle croit toujours fidèle, elle la retire aussitôt comme si elle voulait rester à nu. Et dans son grand air « Un bel di vedremo… », où elle espère ardemment son retour, elle est couchée sur son tatami (ce qui, vocalement, ne l’aide pas), tout entière abandonnée à son rêve/fantasme.
L’art du pianissimo
Ce morceau de bravoure tant attendu n’est d’ailleurs pas le meilleur d’Ermonela Jaho, l’une des plus grandes pucciniennes du moment. Familière du rôle de Butterfly chanté sur les scènes mondiales, la soprano albanaise, qui fait ses débuts au festival, confirme un talent de vraie tragédienne, sans jamais forcer la note, avec des pianissimi époustouflants. Elle tient en haleine et tire des larmes au public au dernier acte tant le sort qui lui est fait est atroce, en contraste avec sa droiture et sa fidélité à toute épreuve.
Face à elle, le ténor britannique Adam Smith à la voix souple et chaude serait parfait en Pinkerton s’il n’avait tendance à forcer sur les aigus. La mezzo-soprano japonaise Mihoko Fujimura, un peu hésitante au début en Suzuki, s’affirme à mesure que son rôle prend de l’importance. Pour sa part, le baryton belge Lionel Lhote assume avec aisance le (mauvais) rôle du consul américain Sharpless, messager du malheur.
Photo : crédit Ruth Walz
Puccini : Madama Butterfly, Théâtre de l’Archevêché, jusqu’au 22 juillet (https://festival-aix.com/fr).
Avec Ermonela Jaho, Adam Smith, Mihoko Fujimura, Lionel Lhote. Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Lyon, direction musicale : Daniele Rustioni. Mise en scène : Andrea Breth. Scénographie : Raimund Orfeo Voigt. Costumes : Ursula Renzenbrink. Lumières : Alexander Koppelmann. Dramaturgie : Klaus Bertisch.