Berlioz, la Côte, le retour à la vie (2)
Après une année de purgatoire, le Festival Berlioz retrouve le chemin de La Côte-Saint-André. Pour de grandes soirées et des rendez-vous intimes en fin d’après-midi.
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- 1er septembre 2021
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OUTRE LES SOIRÉES CONSACRÉES aux grandes œuvres de Berlioz ou à des surprises bienvenues comme Le Château des cœurs, que nous évoquons par ailleurs, le Festival de la Côte-Saint-André propose des rendez-vous plus intimes : la série « Sous le balcon d’Hector », à 19h, dans le jardin de la maison natale du compositeur (devenue un admirable musée), avec cette année notamment Arnaud Marzorati et la troupe des Lunaisiens, et une série de concerts de musique de chambre à 17h, dans l’église Saint-André. Jean-François Heisser, Marc Coppey et Aline Piboule étaient notamment les invités de ces concerts de l’après-midi.
L’un des récitals d’Aline Piboule faisait référence à Flaubert, qui rencontra Berlioz sur le tard : fin 1862 en effet, le compositeur se passionna pour Salammbô, qui venait de paraître, et demanda son avis à Flaubert sur les costumes carthaginois qui allaient être utilisés dans Les Troyens à Carthage en novembre de l’année suivante. Plus tard, Flaubert écrira à sa nièce Caroline, à propos de Berlioz : « Voilà un homme ! & un vrai artiste ! Quelle haine de la médiocrité ! (…) Je ne m’étonne plus de la sympathie que nous avions l’un pour l’autre. Que ne l’ai-je mieux connu ! Je l’aurais adoré ! » Outre l’arrangement fait par Florent Schmitt lui-même du prélude de sa Tragédie de Salomé, le récital permit surtout de découvrir des extraits des Femmes de légende de Mel Bonis (dont une Ophélie miroitante, contemporaine de l’Ondine de Ravel, et dont il existe une version orchestrale) et les splendides Sillages de Louis Aubert.
Un autre récital d’Aline Piboule, au programme moins original, fut l’occasion d’entendre les quatre Ballades de Chopin, Bénédiction de Dieu dans la solitude de Liszt et Darknesse Visible de Thomas Adès, d’après Dowland. Un troisième, plus étonnant, était constitué, outre le célèbre Prélude, choral et fugue de Franck, de pages composées par des compositeurs français : des extraits des Paysages et Marines de Koechlin, les trois Types un peu démonstratifs de Pierre-Octave Ferroud et surtout les stupéfiants Clairs de lune d’Abel Decaux. Né l’année de la mort de Berlioz, décédé en 1943, Abel Decaux fut organiste et transcripteur, et a laissé très peu de compositions ; mais ses Clairs de lune (composés de 1900 à 1907), à la tonalité aléatoire, plein d’agrégats et d’accords insolites, évoquent un monde inquiétant, d’un romantisme convulsif, aussi éloigné de Fauré que de Debussy.
Les Orientales fleurent bon
Deux récitals avec voix étoffaient cet ensemble de concerts de 17h. Le premier, donné par le duo Phidylé, composé du baryton Emmanuel Cury et de la pianiste Sandra Chamoux, permit d’entendre un ensemble de mélodies d’Henri Duparc, qui n’a pas écrit que L’Invitation au voyage ! Le poignant Au pays où se fait la guerre, l’exaltée Phidylé, le violent Testament, donnent une idée de l’inspiration d’un musicien souffrant d’hyperesthésie, qui dut cesser très tôt de composer et mourut aveugle et paralytique. Emmanuel Cury aborde cette musique avec un mélange de lyrisme et d’humilité, ne s’égare pas dans La Vague et la Cloche, page complexe et très développée, et nous rappelle que le Lamento de Duparc reprend le poème de Gautier qu’utilisa Berlioz dans Au cimetière des Nuits d’été.
La voix de Vincent Le Texier est plus proche de la tessiture de basse. Avec la pianiste Ancuza Aprodu, aussi complice que l’était Sandra Chamoux avec Emmanuel Cury, il inscrit à son programme des mélodies inspirées par cet Orient fabuleux qui est aussi bien celui de Salammbô que celui des Orientales de Victor Hugo. De Félicien David, on apprécie Reviens, reviens (qui reprend une partie du poème de Gautier utilisé par Berlioz dans Absence des Nuits d’été), mais plus encore Le Nuage et surtout L’Océan, qui met en valeur l’éloquence de Vincent Le Texier et l’ampleur de sa voix qui lui permet toutes les nuances. À Colombine lui convient moins, mais l’accompagnement allègre de la Sérénade de Zanetto et surtout le frémissant Improvisateur, souvenir du Trastevere révèlent un Massenet bien plus incisif et dépaysant que ses opéras laisseraient imaginer. De même, on peut trouver que Saint-Saëns reste un musicien plus prodigue qu’inventif, mais son Tournoiement (songe d’opium) a belle allure, et La Splendeur vide, habitée d’une nostalgie douloureuse, est interprétée par Vincent Le Texier avec de poignants déchirements.
Certes, ici les tapis sont profonds, la nuit est toujours embaumée, le soleil rime avec le fruit vermeil, mais cet Orient de fantaisie, qui a hanté bien des artistes du XIXe siècle, continue de nous faire rêver. « Il faut beaucoup de temps pour découvrir les méditerranées musicales, disait Berlioz, et plus encore pour apprendre à y naviguer » : c’est pourquoi le visiteur qui se trouverait en Isère dans les semaines qui viennent aurait tort de ne pas s’arrêter au musée Berlioz, à La Côte-Saint-André : l’exposition « Les Orientales de Berlioz » s’y tient jusqu’au 31 décembre.
Festival Berlioz, La Côte-Saint-André (Isère), du 17 au 30 août 2021.
Illustration : Sandra Chamoux et Emmanuel Cury (photo Bruno Moussier)