Berlioz chez lui à Nantes (suite)

Après le Requiem en juin, voici venir une soirée sur le thème du « Retour à la vie » avec pour pivot la superbe « Cléopâtre ».

Berlioz chez lui à Nantes (suite)

BERLIOZ NE DIT PAS EXACTEMENT quelle durée s’est écoulée entre le cauchemar qui clôt la Symphonie fantastique et le réveil du héros dans Lélio, ou le Retour à la vie, œuvre que le compositeur décrit comme le complément et la fin de la symphonie. L’Orchestre national des Pays de la Loire a fait durer trois mois ce sommeil agité : c’est en effet le 13 septembre dernier qu’il a fait entendre la Fantastique sous la direction de son nouveau directeur musical, Sascha Goetzel, à la Cité des congrès de Nantes. C’est dans le merveilleux Théâtre Graslin en revanche que l’on a retrouvé l’orchestre, à l’initiative d’Angers Nantes Opéra, cette fois sous la direction de Clelia Cafiero, à l’occasion de Lélio, dans le cadre d’un concert qui comprenait aussi l’Ouverture du Carnaval romain et la cantate Cléopâtre.

On peut a priori trouver étrange de faire voisiner ces trois œuvres, mais, après tout, Berlioz a réutilisé dans le Carnaval romain deux thèmes de l’opéra Benvenuto Cellini dont un qui vient lui-même de Cléopâtre et, dans Lélio, deux thèmes issus de la même Cléopâtre. Sans compter l’allusion au serpent, au début du texte de Lélio, qui est aussi un lien inattendu avec l’œuvre qui précède ! C’est donc cette somptueuse et malheureuse cantate de 1829, qui ne fut pas couronnée par le Prix de Rome (distinction que Berlioz ne reçut que l’année suivante), qui servait de pivot à cette soirée donnée d’un seul tenant. Julie Robard-Gendre l’aborde en tragédienne, l’interprétation habitée, la voix magnifique, sans escamoter les difficultés de la partition (notamment la terrible montée sur les mots « Et la fille des Ptolémée »), préférant chanter jusqu’à la fin, d’une voix étouffée avec art, sans jouer à la mourante égarée dans ses râles.

Clelia Cafiero, malheureusement, n’a pas précisément la musique de Berlioz dans les veines : l’introduction épileptique de Cléopâtre a ici quelque chose d’appliqué, les pulsations de la Méditation restent tièdes, et jusqu’à la fin c’est la chanteuse qui mène la danse avec, derrière elle, un orchestre qui se contente de benoîtement l’accompagner. On avait déjà éprouvé la même impression dans l’Ouverture du Carnaval romain, abordée avec une placidité qui n’est pas précisément dans l’esprit de la partition, malgré un cor anglais très chaleureux et très présent. Or on sait qu’un orchestre galvanisé, même d’un effectif réduit (il n’y avait que trois contrebasses le 15 décembre), peut faire des merveilles.

Excellents instruments solistes

Clelia Cafiero ne met guère plus d’expression passionnée et d’ardeur intérieure, pour reprendre les mots de Berlioz lui-même, dans Lélio (même si on remarque là encore, dans le « Chant de bonheur » et « La harpe éolienne », d’excellents instruments solistes, harpe, flûtes et clarinette). Le Chœur d’Angers Nantes Opéra, astucieusement disposé au premier balcon, de part et d’autre de la scène, donne toutefois de la chair au « Chœur d’ombres », à la « Chanson de brigands » et à la « Fantaisie sur La Tempête », à défaut de faire preuve d’une impeccable cohésion. Au moins la musique tout à coup se réveille.

Sahy Ratia est très à l’aise dans la « Ballade du pêcheur », plus encore dans le « Chant de bonheur », Philippe Nicolas-Martin fait preuve d’une belle faconde dans la « Chanson de brigands », mais on aurait aimé que Maxime Le Gall, lui aussi, mette davantage de feu dans son incarnation. Le texte confié par Berlioz au récitant est suffisamment varié dans ses humeurs, drôle quand il le faut, rageur, enthousiaste, rêveur, pour qu’un comédien s’y donne à cœur joie. Lélio, c’est Berlioz en personne ! Dommage aussi que dans l’enceinte intime du délicieux Théâtre Graslin, où il est dépaysant donc passionnant d’assister à un concert, un comédien doive utiliser un microphone. Une mise en espace, même très simple, d’autant, encore une fois, que nous sommes dans un théâtre, aurait pu donner de l’animation à ce Retour à la vie dont les indications données aux musiciens, à la fin (sur le modèle d’Hamlet s’adressant aux comédiens), tombent un peu à plat.

Cette soirée, avec la Symphonie fantastique qu’on a citée ainsi qu’une Enfance du Christ dirigée du 10 au 14 décembre par Hervé Niquet, faisait partie d’un ensemble de rendez-vous avec Berlioz imaginés par l’Orchestre national des Pays de la Loire dont le précédent directeur musical, Pascal Rophé, nous avait offert un très beau Requiem en juin dernier.

Illustration : Julie Robart-Gendre (photo Ledroit-Perrin)

Berlioz : Ouverture du Carnaval romain - Cléopâtre - Lélio, ou le Retour à la vie. Julie Robard-Gendre, mezzo-soprano ; Sahy Ratia, ténor ; Philippe Nicolas-Martin, baryton ; Maxime Le Gall, récitant. Orchestre national des Pays de la Loire, dir. Clelia Cafiero. Théâtre Graslin, 15 décembre 2022.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook