Berlioz, Roméo, Harding

À Radio France, Daniel Harding nous livre un Roméo et Juliette de haut vol.

Berlioz, Roméo, Harding

ON AVAIT GARDÉ UN GRAND SOUVENIR du Roméo et Juliette dirigé par Daniele Gatti, en 2014, au Théâtre des Champs-Élysées, à la tête de l’Orchestre national de France. Le concert donné en 2016 par l’Orchestre philharmonique de Radio France, en revanche, nous avait laissés perplexes en raison de la direction inexplicablement amorphe de Jukka-Pekka Saraste ; ne nous reste en mémoire de cette soirée que le sublime solo de hautbois, immensément chantant et fruité, d’Olivier Doise.

Six ans plus tard, la donne a changé. Galvanisé par Daniel Harding, l’Orchestre philharmonique nous offre un Roméo concentré, tendu, fiévreux, plus symphonique que théâtral. On sait en effet que le Roméo de Berlioz, qui inaugure le genre de la symphonie dramatique (lequel n’aura guère de descendants), télescope le concert et le théâtre et permet les approches les plus différentes. Après une introduction lancée par un pupitre d’altos déchaînés, ainsi, le récitatif confié aux cuivres est avec Harding une page d’orchestre sans intention narrative alors que d’autres chefs s’attachent à nous faire entendre l’intervention du prince. Mais la beauté instrumentale de « Roméo seul », de la « Scène d’amour » ou de « La reine Mab », pour ne citer que ces exemples, nous convainquent que Daniel Harding sait ce qu’il veut. Singulièrement, il fait du « Convoi funèbre de Juliette » une page immobile, presque contemplative, en préférant jouer des couleurs plutôt que de souligner le crescendo permis par la forme même du fugato instrumental.

On goûte le hautbois lyrique d’Hélène Devilleneuve, on aime la flûte pleine de fantaisie de Magali Mosnier, on est saisi par les accents sépulcraux des bassons dans l’« Évocation », on suit pas à pas le réveil de Juliette grâce aux pppp impalpables de la clarinette de Nicolas Baldeyrou. Le cor anglais est un peu timide, certes, on attendrait des trombones plus implacables dans « Roméo au tombeau des Capulets », mais il y a dans ce Roméo un sens du relief et une maîtrise de chaque instant qui nous rappellent que Daniel Harding est aussi pilote d’avion.

Entendre les harpes

L’acoustique de l’Auditorium de Radio France réserve toujours de bonnes surprises : si l’on peut s’étonner a priori que deux harpes seulement soient installées sur la scène, on les entend clairement, aussi bien dans les tutti de la « Fête chez Capulet » que dans le scherzo, où leurs interventions participent de cet art de l’imprévu qu’a toujours revendiqué Berlioz – et beaucoup mieux que les six instruments qu’avait réunis John Nelson à la Philharmonie de Paris. C’est le cas aussi des contrebasses, dont les moindres intentions sont là, présentes, grâce aussi à un très beau grain, grâce aussi à un chef, bien sûr, qui ne laisse rien au hasard.

Symphonie dramatique, la partition de Berlioz fait appel aux voix. Le Chœur de Radio France, préparé par son nouveau directeur musical Lionel Sow, paraît en grande forme et chante avec une belle ferveur. On peut s’étonner cependant du parti pris qui consiste à faire entrer le chœur du Prologue et à l’installer derrière le chef à la fin de l’introduction instrumentale, ce qui occasionne des bruits de pas incongrus ; de même, pourquoi demander aux membres du chœur d’aborder le « Convoi funèbre de Juliette » en descendant les gradins afin de prendre leur place ? Le rituel, certes. La procession. Mais la musique n’y gagne rien, et le théâtre niche ailleurs.

Côté solistes, on ne peut que se féliciter des « Strophes » de Virginie Verrez, chantées avec un phrasé plein d’élan et un timbre d’une riche matière. Andrew Staples* se sort avec les honneurs du bref « Scherzetto », mais Edwin Crossley-Mercer, dans le finale, manque un peu d’autorité et de clarté dans la diction. Est-ce la raison pour laquelle on aurait attendu que le serment final soit pourvu d’un surcroît de solennité ?

Illustration : Daniel Harding (crédit : Sveriges Radio)

* Curieusement, Andrew Staples est également cinéaste : il a filmé, dans un hangar de l’aéroport Charles-de-Gaulle, la Suite de L’Oiseau de feu de Stravinsky interprétée par l’Orchestre philharmonique de Radio France et Daniel Harding.

Berlioz : Roméo et Juliette. Virginie Verrez, mezzo-soprano ; Andrew Staples, ténor ; Edwin Crossley-Mercer, basse ; Chœur et Orchestre philharmonique de Radio France, dir. Daniel Harding. Auditorium de Radio France, 30 septembre 2022.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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