Critique – Opéra-Classique

Aida de Giuseppe Verdi

Aida ou Amneris ?.

Aida de Giuseppe Verdi

La mise en scène de Charles Roubaud, réalisée pour l’Opéra Municipal de Marseille, est arrivée à Massy sans grands changements. Certes la substitution des décors traditionnels par des vidéos a facilité grandement la transposition de la production, mais le maintien d’un grand nombre de choristes sur scène, la qualité des solistes engagés et la présence de Paolo Olmi dans la fosse, a montré, si besoin en était, la volonté des pouvoirs locaux de faire de Massy un centre contributeur de première classe à la pérennité des titres les plus prestigieux du genre.

Paolo Olmi fait partie d’une école italienne de direction d’orchestre -tout simplement classique et rien d’autre, selon ses propres déclarations- dont sont également issus des chefs italiens, comme Antonello Allemandi, Roberto Rizzi-Brignoli et bien d’autres sans doute. On remarque, certes, des différences entre eux, mais leur lecture de la musique italienne -du XIXème siècle en particulier-, combine toujours savamment, la précision minutieuse, le lyrisme sans pathos et la grandeur, ingénue, sans soucis ni crainte du qu’en-dira-t-on.

Un orchestre centré sur l’essentiel

A l’ouverture, le maestro a un peu peiné à ajuster les pupitres entre eux. Les violons trop faibles –malgré la forte sonorité de la salle- ont accueilli avec difficulté les bois et les autres pupitres s’entremêlant sur le thème central d’Aida, l’esclave. L’espace d’un instant on a pu craindre le pire. Paolo Olmi a réagi et s’est imposé immédiatement pour donner par la suite une lecture soignée et très juste de l’œuvre. Fidèle à son école et à sa réputation, il a donné une ampleur particulière aux concertants, et s’est limité adroitement lors des moments-clés tels que : « Gloria all’Egitto… », « Su del Nil… », et d’autres encore, où la tentation d’en faire trop est grande. De plus, il a su masquer, du moins en partie, les notes finales trop courtes, les aigus au volume excessif, les notes graves peu audibles,… défaillances mineures des chanteurs (seule Aude Extrémo a été impeccable) que l’on remarque souvent, si bien que les solistes se sont sentis protégés par la fosse à tout moment.

Des solistes bien disposés

Sur le papier la distribution présentée était parfaitement en mesure d’affronter la soirée. Et, de fait il en a été ainsi, même si, ici ou là, on a constaté des défaillances dues, à l’usure de la voix, à la volonté mal placée de montrer des capacités de puissance, ou alors, tout bonnement à la fatigue, mais jamais au manque d’intérêt ou d’application des chanteurs. La surprise très agréable de la nuit est venue de l’interprétation sans faille du rôle d’Amneris par Aude Extrémo.

La mezzo s’est exprimée sans peur et sans complexe dès le départ ; « Ritorna vincitor  ! » a résonné comme un cri de victoire avant la bataille. C’est au quatrième acte, lors de son dialogue avec Radamès et plus tard pendant sa discussion tendue avec les prêtres qu’elle a montré ses immenses qualités vocales et dramatiques, au point que c’est à ce moment même que le ténor Carl Tanner s’est révélé soudainement très sûr de lui, puissant et nuancé, brillant. Jusque-là il avait campé un Radamès vocalement hésitant, alternant des moments réussis et d’autres franchement de mauvaise qualité.

Cécile Perrin a bien caractérisé le rôle d’Aida, grâce à sa présence discrète et majestueuse à la fois, au timbre de sa voix, élégant et suave dans les passages lyriques, même lorsqu’elle devait donner plus de puissance pour les besoins du livret. Elle n’a pas su cependant nuancer le volume de son émission, à peine audible dans le registre grave, les aigus étant démesurément forts par moments. Le baryton coréen Tito You aura été un Amonasro de belle présence, magnifique émission, à ceci près qu’on n’a pas compris un mot de ce qu’il chantait. Il a laissé passer l’occasion d’impressionner le public lors du superbe passage « Ma tu, Re, tu signore possente,… », chanté sans aucune émotion, et on a eu l’impression –fréquente lorsqu’on connait les textes- qu’il chantait ce qu’il savait sans savoir ce qu’il chantait.

Aussi bien Jérôme Vanier –le Roi- que Wojtek Smilek –Ramfis- ont bien rempli leurs rôles, malgré l’usure évidente de leurs voix, en particulier lorsqu’ils atteignaient les registres extrêmes. Les interventions de Ludivine Gombert, à la voix légère, bien nuancée et agréable, et de Rémy Mathieu, très convaincant dans sa brève apparition en tant que messager, ont été des petites surprises bien agréables.

Un chœur sans faille et des ballets surprenants d’intelligence

Le Chœur de l’Opéra de Massy participait cette fois en tant que « chœur supplémentaire » en appui à celui de l’Opéra du Grand Avignon. L’ensemble, bien encadré par Aurore Marchand, a réussi une belle performance lors de cette soirée. Les choristes, en pupitres séparés ou tous ensemble, sans les solistes ou avec eux, ont été de grande qualité et en parfaire harmonie.

Charles Roubaud a négocié de façon très intelligente les trois ballets de l’œuvre, à nos yeux discutables et quelque peu kitch. Il a utilisé le premier pour faire habiller Radamès par des esclaves, avec parcimonie, rien de plus. Le second a été remplacé par un jeu dynamique et amusant entre quatre ou cinq enfants et les gardes qui étaient censés les surveiller. Le troisième a été maintenu en tant que tel et a été exécuté par un ensemble de huit excellents danseurs dans une intéressante chorégraphie moderne de Julien Lestel, très applaudi à la fin de la soirée.

Une mise en scène classique et moderne à la fois

Mettre Aida en scène est un pari difficile à tenir de nos jours. Le récent échec de la mise en scène d’Olivier Py à l’Opéra Bastille en 2013, le prouve amplement. Ni le sujet, ni les personnages ne supportent quelque changement d’époque que ce soit, et il est aussi impossible d’éviter l’aspect kitsch lorsque l’on opte pour le respect absolu de l’œuvre à ses origines : on se trouve dans l’impasse la plus totale. Charles Roubaud a présenté un cadre traditionnel mais stylisé et mobile à vue, grâce aux effets des projections vidéos signées Emmanuelle Favre, et il a demandé aux acteurs –astucieusement habillés par Katia Duflot- de simplifier leurs déplacements sur la scène et de minimiser leurs gestes. De plus il a maintenu les ballets, tout en proposant des alternatives intéressantes.

Aida de Giuseppe Verdi, livret de Antonio Ghislanzoni d’après un scénario d’Auguste Mariette. Orchestre Nationale d’Île de France. Direction musicale Paolo Olmi. Mise en scène Charles Roubaud, décors Emmanuelle Favre, costumes Katia Duflot, Eclairages Philippe Grosperrin. Chœur de l’Opéra Grand Avignon et chœur supplémentaire de l’Opéra de Massy. Avec Jérôme Vanier, Aude Extrémo, Cécile Perrin, Carl Tanner, Wojtek Smilek, Tito You, Rémi Mathieu, Ludivine Gombert. Coproduction de l’Opéra de Tours, Opéra Grand Avignon, Opéra de Reims et Art Musical .

Opéra de Massy les 4 et 6 novembre 2016.

www.opera-massy.com
+33 (0)1 60 13 13 13

Photos : François Pinçon

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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