28 i mig (28 1/2) d’Oriol Broggi

L’art comme le refuge de la vie contre la mort

28 i mig (28 1/2) d'Oriol Broggi

Nourrie de fascination pour l’Italie et le mouvement cinématographique néoréaliste, la compagnie La Perla 19, avec le spectacle 28 i mig, rend hommage à la fiction, à la littérature, au théâtre et au cinéma. Créée en 2013 à Barcelone, à partir d’improvisations collectives sur Huit et demi (1963), film mythique de Federico Fellini, la troupe revisite aujourd’hui la pièce de son répertoire.

Dans Huit et demi, Federico Fellini pose un regard autobiographique sur les affres de la création. Un cinéaste dépressif fuit le monde du cinéma, se réfugiant dans un univers peuplé de souvenirs et de fantasmes. Surgissent en vrac des images de son passé, son enfance, l’école religieuse de sa jeunesse, ses rêves fous de « harem », ses parents morts. Dans la station thermale où il s’est isolé, son épouse Luisa, sa maîtresse Carla, ses amis, ses acteurs, ses collaborateurs et son producteur viennent le solliciter, pour qu’enfin soit réalisé le film sur lequel il est censé travailler.

Soit l’inventaire des doutes inhérents à la création artistique, à l’existence personnelle, à la quête du bonheur à travers l’art, avec l’enfance comme inspiration du passé, pour appréhender la mort. Tourbillons et fantaisies, sur le plateau du metteur en scène catalan Oriol Broggi, la vie ne cesse pas - regard posé sur l’existence et inversement, l’art observant la vie - le passage de l’un à l’autre.

Mosaïque de scènes, poèmes, danses, musiques, projections et textes d’artistes, Dante, Verlaine, Pirandello, Ettore Scola, Eduardo di Filippo, Shakespeare, Bergman, Tchékhov …, le spectacle serait comme un paradis perdu, une réflexion joyeuse sur l’inconstance de la création et de la vie.

Sont joués, entre autres tableaux emblématiques, des extraits d’Une Journée particulière d’Ettore Scola, de Six Personnages en quête d’auteur de Pirandello, d’Une Performance de Vittorio Gassman, d’Oncle Vania de Tchékhov, du film Fanny et Alexandre de Bergman. De même, un conte chinois L’Evasion du peintre Notxa est représenté avec humour et facétie.

Sur la scène, a été déposée, comme dans un rêve, une couche de sable de couleur cuivre anticipant la douceur des pas des comédiens qui s’enfoncent dans le moelleux du sol. Pour cet espace de tendresse, une succession de petits rideaux cadre les différentes scènes de telle pièce de théâtre, de tel extrait de film, de tel tableau intime tapi dans un coin de la mémoire. Un manteau d’arlequin déposé sur le plateau est relevé et rehaussé - théâtre à l’italienne.

Sur le mur de lointain, un écran laisse filer la teneur variable des ciels bleus et nuageux, calmes ou mouvementés, plus ou moins sombres ou clairs, semblant faire la course avec l’attention du spectateur attiré par par cette prouesse scénique inattendue qui l’emporte : la vie comme elle va - flux et flot céleste.

De même, sur le sol, la mer va et vient, les vagues inlassables avancent et reculent, emportant tout sur leur passage, subjuguant le regard de qui se laisse aimanter par ce pouvoir - flux de mer, écume blanche, mouvements dessinés sous le ciel étoilé de la nuit. On pense à Littoral de Wajdi Mouawad, à E la Nave va de Fellini - tempêtes et naufrages du cinéma mythique.

Aussi, des images récurrentes du fameux Huit et demi encore de Fellini : on pourrait reconnaître Luisa, l’épouse du cinéaste en question et en questionnement, Marcello Mastroianni jouant le double du cinéaste, et le personnage féminin, un rappel d’Anouk Aimée aux cheveux courts et lunettes, jolie tenue digne et policée, fidèle à l’image de la femme des années 60.

Une autre silhouette est identifiable encore sur la scène, parmi de nombreuses autres visions, comme celle de cette grosse femme sur la plage, et qui danse le mambo - la Saraghina. Rappels de La Strada et de la force des visions issues du cirque - clowns et athlètes -, sans oublier la jolie écuyère et son cheval qu’elle fait aller et venir sur la scène. On voit l’image de la statue du Christ « promenée » en hélicoptère, provoquant l’effarement ( La Dolce Vita, 1960).

La musique est présente, entourant, comme tous les autres personnages, l’auteur soucieux - metteur en scène ou cinéaste, avec le trio Joan Garriga, Maria Roch, Marc Serra. Sans oublier le violon et la contrebasse de la comédienne Laura Aubert Blanch, le saxophone et la trompette du comédien Blai Juanet Sanagustin. Quant aux acteurs Guillem Balart et Xavier Boada, ils jouent de la guitare, les actrices Maria Cistero et Clara Segura Crespo chantent.

Même les jolis pas de danse de la troupe sont passés par l’univers chorégraphique de Pina Baush - légèreté et envol soigné des mouvements.

Mégaphones, talkies-walkies à vue, les comédiens/techniciens de plateau ont maille à partir pour installer les prises, avec leurs longues perches, les caméras et tous les accessoires à déplacer, le public étant comme convié à pénétrer les espaces symboliques du temple de la Cinecitta à Rome.

Fresques évocatrices, patchwork successif et mouvant, le spectacle bon enfant est réjouissant, collégial et festif, populaire et joyeux, sans nulle prétention ni affectation, traitant des bonheurs vifs comme des affres de la vie - le jeu, la convivialité, l’amitié, l’âge et l’inspiration créatrice perdue.

28 i mig (28 1/2), conception, mise en scène et scénographie Oriol Broggi, adaptation des textes de Jeroni Rubio et Oriol Broggi. Nouvelle version. Lumières Pep Barcons, costumes Berta Riera, son Damien Bazin, vidéo Francesc Isern, musique originale Joan Garriga. Spectacle en catalan et en italien sur-titré en français. Avec Laura Aubert Blanch, Guillem Balart, Xavier Boada, Marcia Cistero, Enrico Ianniello, Blai Juanet Sanagustin, Clara Segura Crespo, Montse Vellvehi et Joan Garriga, Maria Roch, Marc Serra et un cheval.
Du 16 mars au 10 avril 2022, du mercredi au samedi 20h30, mardi 19h30, dimanche 15h30, à La Colline, Théâtre national, 15 rue Malte-Brun 75020 Paris. Tél : 01 44 62 52 52 billetterie.colline.fr 


Crédit photo : David Ruano

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Véronique Hotte

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